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Fin de la mise à mort des poussins mâles dans la filière poules pondeuses

Le décret mettant fin à la mise à mort des poussins mâles dans la filière de poules pondeuses a été publié le dimanche 6 février 2022 au journal officiel (vous pouvez le consulter ici). Vous pouvez également consulter l’arrêté du 7 novembre 2022 qui vient le compléter ici.

Le décret indique qu’à compter du 31 décembre 2022, « la mise à mort des poussins des lignées de l’espèce Gallus gallus destinées à la production d’œufs de consommation issus de couvoirs est interdite » et que pour cela, les exploitants doivent mettre en place des « matériels permettant de déterminer le sexe de l’embryon au plus tard le quinzième jour d’incubation, ou par tout autre moyen apportant des garanties équivalentes ».

Toutefois l’interdiction de mise à mort ne concerne pas 

  • Les poussins des lignées Gallus gallus destinés à la reproduction[1]ni les canetons femelles de la filière foie gras
  • Les poussins destinés à l’alimentation animale. En effet, de nombreux animaux (oiseaux de proie, serpents, etc.) se nourrissent de poussins entiers et il est donc prévu de laisser éclore certains œufs avec une mise à mort des poussins afin de les conserver intacts. 
  • Les poussins des lignées dont les œufs sont utilisés dans l’alimentation industrielle pour les animaux[2].
  • Les poussins mâles issus d’œufs blancs, dont le sexage dans l’œuf nécessite une technique plus coûteuse. 
  • Les poussins de souche brune issus d’erreur de sexage ou les poussins femelles blessés ou non viables (ce qui concerne un petit nombre d’individus)
  • Les poussins utilisés à des fins scientifiques, notamment pour l’industrie pharmaceutique, ou à des fins de diagnostic vétérinaire

🥚🍳En France, tandis que nous achetons des œufs frais de couleur brune, les œufs blancs sont, quant à eux, généralement utilisés comme ovo-produits, c’est-à-dire incorporés dans les aliments transformés, les cosmétiques etc. Actuellement, selon l’Interprofession française des œufs (CNPO) les poules pondeuses de souche blanche représentent 15% des poules pondeuses[3] élevées en France.🍳🥚 

Selon cette nouvelle réglementation, les poussins de souche brune issus d’erreur de sexage, blessés ou non viables peuvent être broyés ou gazés. Les poussins mâles issus d’œufs blancs utilisés dans l’industrie alimentaire animale et humaine doivent être gazés. La question se pose concernant les mâles issus d’œufs blancs utilisés dans l’industrie cosmétique dans la mesure où le décret évoque uniquement « les œufs de consommation » sans définir le terme.

Pourquoi les poussins mâles en filière poules pondeuses sont-ils mis à mort après éclosion ?

En filière poules pondeuses, seuls les poussins femelles sont maintenus en vie afin de devenir des poules pondeuses. Les poussins mâles, ne pouvant pas pondre des œufs, et n’ayant pas un patrimoine génétique permettant une production efficace de viande, ne sont pas conservés. Ils sont donc abattus un jour après la naissance, une fois que leur sexe a été déterminé. Cet abattage se fait le plus souvent par broyage mais peut également se faire par gazage. 

Plusieurs techniques peuvent alors être utilisées pour déterminer le sexe du poussin à l’âge de 1 jour. La plus connue consiste à comparer les plumes de l’aile : chez les poussins mâles de 1 jour, les plumes de couverture sont de la même longueur que les rémiges primaires alors que chez les poussins femelles, elles sont de longueur différente

Les poussins femelles vont ensuite quitter le couvoir pour rejoindre un élevage de poulettes puis un élevage de poules pondeuses où elles commenceront à pondre vers l’âge de 18 semaines. Elles vont ensuite pondre jusqu’à l’âge de 70-75 semaines avant d’être envoyées à l’abattoir. Durant cette période, chaque poule aura pondu environ 300-330 œufs. Ces données dépendent du système d’élevage des poules et peuvent donc varier !

🐣 Avant, le décret du 6 février, la mise à mort par broyage ou gazage concernait environ 40 millions de poussins mâles par an en France et concernait environ 300 millions en Europe.  🐣

🇫🇷 La France est-elle le premier pays à interdire le broyage ?

L’objectif du décret est donc de diminuer le nombre de poussins broyés mais aussi, plus globalement, mis à mort en France.

Actuellement en Europe, la pratique du broyage est interdite en Wallonie depuis juillet 2021 et en Allemagne depuis 2022. La France et l’Allemagne souhaitent que cette interdiction soit généralisée et cette demande est soutenue par une dizaine d’Etats membres[4]. D’autres pays hors Union européenne travaillent sur des alternatives mais actuellement seule la Suisse a interdit le broyage des poussins mâles.

Quelles sont les alternatives possibles  ?

Pour éviter la mise à mort des poussins après la naissance, plusieurs alternatives peuvent être utilisées, la plus utilisée étant le sexage in ovo.

Le sexage in ovo consiste à déterminer le sexe de l’embryon dans l’œuf avant l’éclosion, permettant de ne conserver que les œufs femelles sans faire éclore les œufs mâles, qui sont transformés en ovoproduits.

Le sexage in ovo :

  • repose sur le fait que les embryons mâles et femelles présentent des particularités anatomiques, physiologiques, moléculaires ou génétiques qui permettent de les discriminer dans l’œuf. 
  • doit être précis (bien distinguer les mâles et les femelles), sans douleur pour l’embryon, rapide, pas trop onéreux à mettre en place et ne pas faire diminuer le taux d’éclosion des œufs.

Pour réaliser le sexage in ovo, différentes techniques utilisant la spectrométrie, le dosage hormonal ou le dosage des métabolites ont été développées et parmi elles, trois techniques sont commercialisées actuellement en France, comme le rappelle l’OABA[5] :

  • Une technique qui se base sur la détermination de la couleur des plumes dans l’œuf. Cette technique est la moins onéreuse mais n’est applicable qu’aux races de souche brune pour lesquelles les embryons mâles et les embryons femelles peuvent se différencier par la couleur des premières plumes, généralement à partir de 13 jours d’incubation.
  • Une autre technique qui implique de faire un prélèvement dans l’œuf en réalisant un trou dans la coquille pour déterminer le sexe dans l’œuf à 9 jours.
  • Une dernière technique qui est basée sur la réalisation d’une imagerie par résonance magnétique (IRM) qui permet le sexage à partir du 12ème jour

La première technique est la plus répandue en France. Cependant, elle rend impossible le sexage des œufs blancs in ovo. Le gouvernement, à la demande de la filière des œufs qui souhaitait conserver des poules pondeuses de souche blanche, a donc instauré une dérogation permettant de mener à éclosion puis de mettre à mort par gazage les poussins mâles de souche blanche dont les œufs sont utilisés pour l’alimentation animale et humaine. Cette dérogation pourrait, dans la pratique, ouvrir la voie à une plus grande utilisation des races blanches en France y compris pour la consommation d’œufs frais. 

Certaines techniques nécessitent donc un prélèvement dans l’œuf, ce qui pose la question de la douleur potentielle ressentie par l’embryon, alors que d’autres peuvent être réalisées sans contact[6].

A noter que des recherches actuelles portent sur une méthode d’analyse des gaz émis par les œufs permettant de sexer les œufs à partir de 1 jour[9].

Enfin, hormis le sexage in ovo, une autre alternative serait de sélectionner des races mixtes où les femelles serviraient à la ponte et les mâles à la production de poulets de chair.  Pour le moment cependant, les lignées utilisées ne permettent pas cette double utilisation et un travail devrait être fait sur la sélection génétique. A noter que l’utilisation de races mixtes, plutôt que d’opérer par sexage in ovo, est la pratique préconisée en premier lieu par l’Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs[10].

Pour conclure

Depuis le 1er janvier 2023, les poussins mâles issus de souche brune (dont les œufs sont en général utilisés pour la consommation d’œufs frais), ne sont plus mis à mort en France. En revanche, les poussins mâles destinés à l’alimentation animale, ou issus de souche blanche dont les œufs sont généralement utilisés comme ovo-produits dans l’industrie alimentaire (animale et humaine) ne sont pas concernés par cette interdiction. Les poussins issus de souche blanche dont les œufs sont utilisés dans l’industrie alimentaire et animale doivent être gazés pour être mis à mort et ne peuvent plus être broyés. La question se pose en revanche concernant les poussins issus de souche blanche dont les œufs sont incorporés dans les cosmétiques et qui pourraient potentiellement être encore broyés en fonction du sens qu’attribue le décret à « œufs de consommation ».

ℹ️ Bon à savoir

👍 Chez les oiseaux, la détermination sexuelle repose sur le système ZZ :ZW. Et à la différence de l’espèce humaine, c’est le mâle qui a deux chromosomes sexuels identiques (ZZ) alors que ceux de la femelle sont différents (ZW). 

⏳Durée incubation : Chez la poule, la durée d’incubation est de 21 jours. Durant cette période, la température doit être d’environ 37-39°C (dépendant du taux d’humidité) 

Pour en savoir plus :


[1] Dans la filière reproduction, en effet, il faut en moyenne un mâle pour dix femelles. Pour atteindre ce ratio, de nombreux mâles sont broyés à la naissance. Retour

[2] Cette exception est encadrée par l’arrêté du 7 novembre 2022

[3] https://www.alliance-elevage.com/informations/actualite/stop-la-desinformation-des-associations-animalistes-la-filiere-francaise-des-oeufs-confirme-la-mise-en-oeuvre-de-lovosexage-des-le-1er-janvier

[4]https://agriculture.gouv.fr/parangonnage-europeen-sur-le-bien-etre-animal-et-la-lutte-contre-la-maltraitance-animale.

[5] https://oaba.fr/la-fin-de-lelimination-des-poussins-loccasion-manquee-par-le-gouvernement/

[6]https://www.itavi.asso.fr/publications/avancees-concernant-les-methodes-d-ovosexage-des-poussins.

[7]Eide, A.L., Glover, J.C., 1995. Development of the longitudinal projection patterns of lumbar primary sensory afferents in the chicken embryo. J. Comp. Neurol. 353, 247–259. https://doi.org/10.1002/cne.903530207

[8]J. Gautron, S. Réhault-Godbert, T.G.H. Van de Braak, I.C. Dunn, Review: What are the challenges facing the table egg industry in the next decades and what can be done to address them?, Animal, Volume 15, Supplement 1,2021 https://doi.org/10.1016/j.animal.2021.100282

[9]https://liu.se/en/news-item/bekraftat-att-liu-forskare-kan-konssortera-agg.

[10] https://oaba.fr/PDF/fiche_oaba_sexage_in_ovo.pdf .

« L’expérimentation animale aujourd’hui… et demain ? »

Le 18 avril 2023, à l’Institut Curie, Georges Chapouthier, chercheur émérite au CNRS, biologiste et philosophe, en collaboration avec la Société de biologie a organisé une séance intitulée « L’expérimentation animale aujourd’hui… et demain ? ». L’objectif de cette séance était de rappeler les enjeux historiques et philosophiques autour de l’expérimentation animale mais aussi d’évoquer les alternatives possibles à l’utilisation d’animaux. « Remplacer » les animaux vivants par des méthodes alternatives constitue de fait un des principes défendus par la règle des 3R (remplacer, réduire, raffiner) entérinée par la réglementation européenne et française[1].

Nous vous proposons une retranscription libre de cette séance, qui n’a pas vocation à être exhaustive. Les propos rapportés ici ne reflètent pas nécessairement les positions de la Chaire Bien-être animal et sont une libre retranscription, ce qui signifie que, malgré le soin apporté, des erreurs d’interprétation demeurent possibles.

Le programme des interventions : 

Une nécessité de développer des méthodes alternatives à l’expérimentation animale (Louis Schweitzer)

La séance débute avec une intervention de Louis Schweitzer, président de la Fondation Droit Animal, Ethique et Sciences, qui souligne la nécessité de développer des méthodes alternatives à l’utilisation d’animaux vivants en recherche. Pour lui, un effort doit également être fait pour obtenir l’adhésion des scientifiques à la règle des 3R et les associer autant que possible. Dans ce cadre, il rappelle l’importance du Centre de référence français pour les questions relatives aux 3R (GIS FC3R) créé en 2021 et qui, en 2022, a lancé un appel à projet sur la thématique du remplacement. Il insiste sur la nécessité d’augmenter les moyens financiers dédiés aux projets visant à remplacer l’expérimentation animale, la France étant sur ce plan moins avancée que la Grande-Bretagne par exemple.  Louis Schweitzer rappelle que depuis 1987, la LFDA remet le Prix de biologie Alfred Kastler pour encourager le développement de méthodes substitutives à l’expérimentation animale. Ce prix, doté d’un montant de 4000 euros, en est à sa 13ème édition cette année et les candidatures sont ouvertes jusqu’à fin juin.

Les enjeux philosophiques et historiques de l’expérimentation animale (Georges Chapouthier) 

D’Aristote à Claude Bernard, Georges Chapouthier rappelle l’importance des enjeux philosophiques et moraux qui ont sous-tendu l’histoire de l’expérimentation animale. 

Au cours de la période Antique s’opposent « scientifiques » et « moralistes ». Les uns (dont Aristote, Hippocrate, Gallien) pratiquent des dissections et des vivisections sur humains et animaux (sans pour autant s’adonner à des expérimentations au sens moderne) mais ne se questionnent pas sur l’aspect moral de ces expériences, ni ne témoignent de sympathie envers les animaux. Face à eux, les autres, comme Pythagore et Plutarque, sont à l’inverse très sensibles au respect de l’animal, défendant même des positions végétariennes.

Si au cours du Moyen-Âge l’intérêt scientifique pour les animaux semble disparaître, il reprend à la période de la Renaissance notamment avec Vésale, Colombo, Eustache, Fallope qui pratiquent vivisections et dissections, sans que l’on puisse parler encore de biologie expérimentale. Ce sont de fait les réflexions de Descartes, au XVIIème, qui posent les jalons d’une pensée expérimentale. Descartes porte, en outre, un regard sur l’animal qui influencera largement par la suite celui des hommes sur ce dernier. En effet, il défend une vision « matérialiste » et dualiste qui fait la distinction entre le corps et l’âme, âme dont seraient dépourvus les animaux. Cela le conduit à assimiler ces derniers à de simples machines, vision reprise et développée, à sa suite, par son élève Malebranche.

Il faut attendre Magendie et son élève, Claude Bernard, pour que l’expérimentation au sens moderne du terme – c’est-à-dire qui se base sur un système hypothético-déductif – fasse son apparition. Sous influence cartésienne, cette pensée expérimentale ne se fonde plus uniquement sur de simples observations, mais bien sur la mise en place d’un raisonnement et d’un système de confirmation ou d’infirmation d’hypothèses initiales. Par ailleurs, Claude Bernard, qui pratique vivisections et dissections sur les animaux, les désigne comme des « machines vivantes », sans leur témoigner de sympathie particulière ni y voir un problème moral. En revanche, au nom de la morale, il ne pratique pas de vivisection sur les humains, quel que soit l’intérêt scientifique et le bénéfice que pourraient en retirer la science et la santé de l’humanité. 

Georges Chapouthier poursuit en soulignant que, paradoxalement, la biologie post-Bernardienne connaît un retour conceptuel : à force d’analyser par des méthodes cartésiennes les corps des animaux et avec l’arrivée des thèses évolutionnistes, les scientifiques commencent à réaliser qu’ils ressemblent à celui des humains. Cette méthode d’analyse conduit même à déceler des processus émotionnels et intellectuels proches des nôtres. La question de la sensibilité animale consciente fait alors son chemin, au point que l’on parle aujourd’hui d’animaux « sentients », qui sont pourvus de nociception (schématiquement de douleur dite « réflexe ») et de processus de conscience, les conduisant à ressentir consciemment la douleur et à en souffrir. Selon lui, cette sentience animale concerne ainsi les animaux vertébrés, dont les poissons, mais aussi les mollusques céphalopodes, sachant que des questions se posent concernant certains crustacés (dont le homard et le crabes), voire certains insectes (comme l’abeille). 

Pour conclure son intervention, Georges Chapouthier souligne que la biologie Bernardienne vit une tension interne. De fait, à certains égards, les animaux sont, sur le plan scientifique, suffisamment proches pour que l’on puisse en déduire des conséquences sur le plan expérimental, mais, en même temps, on tend à penser qu’ils sont suffisamment loin pour qu’aucun problème moral ne se pose. C’est cette contradiction entre le « suffisamment proche » et le « suffisamment loin » qui, pour lui, doit être soulignée. 

Quelles méthodes alternatives à l’expérimentation animale ? (Francelyne Marano)

On ne peut parler de remplacer l’expérimentation animale sans évoquer les alternatives concrètes développées. C’est l’objet de l’intervention de Francelyne Marano, professeure émérite de biologie cellulaire et toxicologie. Elle souligne qu’environ deux millions d’animaux sont utilisés en France pour servir la recherche expérimentale, mais aussi réaliser des études toxicologiques ou encore des recherches appliquées en santé humaine, animale et végétale. Ce nombre est encore important, d’où la nécessité de développer des méthodes alternatives pour le réduire, comme le veut la règle des 3R conceptualisée par William Russel et Rex Burch en 1959. Elle rappelle qu’une méthode alternative est une méthode qui permet de « remplacer » l’expérimentation animale mais aussi de « réduire » l’utilisation de l’animal pour des tests spécifiques et de « raffiner », c’est-à-dire d’améliorer une technique pour le bien-être animal.

Bien que Francelyne Marano considère qu’il n’est actuellement pas possible d’éliminer totalement l’utilisation des animaux en recherche, il existe aujourd’hui plusieurs méthodes dites de « substitution », qui permettent de substituer l’utilisation des animaux : 

  • Les méthodes ex vivo (prélèvements de tissus animaux)
  • Les méthodes in vitro (culture cellulaire) qui permettent de mimer la réalité physiologique de l’organe. Il est ainsi aujourd’hui possible de cultiver presque tout type de cellules d’origine humaine. A partir de cellules souches, les scientifiques sont même capables de réaliser des organoïdes, voire des mini-cerveaux. 
  • Les méthodes in silico (modèles biomathématiques grâce au numérique). Ces modèles mathématiques se fondent sur toutes les bases de données issues d’expérimentation in vivo et in vitro pour permettre – en toxicologie notamment – de ne pas utiliser les animaux à des fins réglementaires. 

Francelyne Marano évoque également l’importance du développement de la bio impression 3D pour une automatisation plus poussée, avec des retombées importantes en pharmacologie et toxicologie. Les scientifiques sont par ailleurs aujourd’hui capables de réaliser des organes sur puce, technologie qui permet de mettre en relation, par un milieu circulant, des cellules provenant de différents organes pour reproduire ce qui se passe d’un point de vue physiologique dans l’organisme, permettant une approche plus intégrée. Ces procédés ne permettent pas en revanche de mimer complètement l’animal, mais assurent une réduction de son utilisation. 

Ces méthodes substitutives sont possibles grâce à des synergies entre plusieurs champs de recherche (physique, biologie, chimie, informatique) qui selon Jocelyne Morano, se multiplient.

Se développent également aujourd’hui des modèles d’animaux substitutifs. Ainsi, pour remplacer les animaux reconnus sensibles, les scientifiques recourent à d’autres animaux, pas encore reconnus comme sensibles, tels que les drosophiles (mouches), les oursins ou les nématodes

Enfin, Francelyne Marano rappelle que 30% des animaux de laboratoire sont utilisés pour évaluer la sécurité des médicaments et des autres produits chimiques, ce qu’on nomme toxicologie. Cette évaluation est rendue obligatoire par le règlement européen dit REACH. Elle rappelle qu’il existe déjà différentes méthodes alternatives validées pour l’évaluation de la sécurité des produits chimiques, notamment pour la génotoxicité, le screening des produits chimiques, la cosmétologie, etc. 

Aspects juridiques des méthodes alternatives à l’expérimentation animale (Aloïse Quesne)

Aloïse Quesne, maître de conférences en droit privé à L’université d’Evry, rappelle que le texte principal qui régit l’expérimentation animale est la directive européenne du 22 septembre 2010 relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques, entrée en vigueur à partir du 1er février 2013. Pour elle, cette directive a suscité de nombreux espoirs puisque, dans son texte même, elle affiche l’objectif européen de remplacer totalement à terme « les procédures appliquées à des animaux vivants à des fins scientifiques et éducatives, dès que ce sera possible sur un plan scientifique ». Dix ans après son entrée en vigueur, Aloïse Quesne déplore que les alternatives ne se soient pas suffisamment développées

Cette directive a toutefois permis l’obligation de validation des projets d’expérimentation par le Ministre de la recherche après évaluation favorable par un comité d’éthique. Actuellement, les 108 comités d’éthique français sont placés sous l’égide du Comité national de réflexion éthique sur l’expérimentation animale. Ce dernier est chargé d’établir le bilan annuel d’activité des comités d’éthique en expérimentation animale et formuler des recommandations visant à améliorer leurs pratiques. Le seul bilan publié à ce jour, en novembre 2022 pour l’année 2021, a soulevé, selon Aloïse Quesne, diverses interrogations : 

  • Questionnement concernant l’indépendance et l’impartialité des comités d’éthique qui sont parfois rattachés à un seul établissement (avec donc des risques de collusion d’intérêt)
  • Manque de proportionnalité de la représentation des cinq compétences obligatoires présentes. Un comité d’éthique doit, en effet, comporter des personnes justifiant de compétences dans la conception de procédures expérimentales sur les animaux, de compétences dans la réalisation de ces procédures, de compétences relatives à la souffrance animale dans le cadre des soins ou de la mise à mort des animaux, au moins un vétérinaire et enfin au moins une personne non spécialiste. Le rapport a notamment souligné que les compétences relatives à la souffrance et à l’intérêt des animaux étaient sous-représentées dans les comités.
  • Nécessité d’augmenter la formation permanente (pour l’instant non obligatoire) des membres des comités d’éthique. 
  • Nécessité de créer un fichier national indépendant qui pourrait éclairer les membres des comités dans leur évaluation et particulièrement en matière de remplacement des animaux. De fait en l’absence de centralisation de ces méthodes, il est parfois difficile d’en avoir connaissance. 

Aloïse Quesne indique que le 16 septembre 2021, le Parlement européen a approuvé à la quasi-unanimité une résolution intitulée « Plans et mesures visant à accélérer le passage à une innovation sans recours aux animaux dans la recherche, les essais réglementaires et l’enseignement ». A cette occasion, il reconnaît qu’il existe des obstacles administratifs qui s’opposent à la mise en place des méthodes de remplacement, que leur utilisation n’est pas suffisamment imposée et que le financement de leur développement reste insuffisant. Les députés européens jugent par ailleurs, en s’appuyant sur l’avis du Centre commun de recherche (JRC) de la Commission, qu’une forte dépendance à l’expérimentation animale pourrait même entraver le progrès dans certaines recherches sur les maladies pour lesquelles les modèles animaux ne permettent pas d’appréhender les caractéristiques essentielles de maladies humaines. 

Aloïse Quesne estime, en outre, qu’il serait important de refuser des projets de recherche pour lesquels les expérimentations sont, d’après elle, inutiles ou remplaçables. Elle cite le cas des vaches à hublot utilisées pour optimiser la performance des bovins par le biais de leur alimentation. Elle pointe également du doigt une certaine incohérence de la Commission européenne en ce qui concerne les tests réalisés en tabacologie sur les animaux. Cette dernière reconnaît en effet, dans une réponse écrite du 18 février 2022, qu’il n’existe pas d’interdiction en la matière, alors même que ces tests pourraient être remplacés par des expérimentations in vitro

Un autre facteur qui freine, pour Aloïse Quesne, la recherche sans animaux est l’obligation réglementaire de recourir aux animaux dans le cadre des tests toxicologiques. Le règlement européen du 18 décembre 2006 concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques (règlement dit REACH) oblige en effet la réalisation de tests pour vérifier l’innocuité des produits chimiques. Des millions d’animaux sont ainsi utilisés à cette fin dans l’UE. Cependant, la Commission européenne a adopté le 3 mars 2023 un règlement qui approuve plus de 100 méthodes nouvelles pour les essais relatifs à la sécurité des produits chimiques, la majorité d’entre elles n’impliquant pas d’animaux

Aloïse Quesne souligne encore l’importance des initiatives citoyennes européennes pour faire avancer la législation en matière de remplacement des animaux vivants. Elle évoque une ICE (Initiative citoyenne européenne) du 3 juin 2015 « stop vivisection » signée par environ 1,2 millions de citoyens mais aussi une autre, « Save cruelty free cosmetics ». Cette dernière a d’ailleurs été validée ce 25 janvier 2023 par la Commission européenne et demande :

  • Que les interdictions européennes qui concernent les expérimentations animales dans le domaine cosmétique soit renforcées, protégées et correctement mises en œuvre.
  • Que la législation de l’UE en matière de sécurité chimique soit fondée sur des sciences modernes et innovantes sans expérimentation animale.
  • Une nouvelle proposition législative de la Commission autour d’actions concrètes pour mettre un terme à toutes les expérimentations animales en Europe

Aloïse Quesne achève son propos sur un chiffre. Selon le rapport de la Commission européenne du 5 février 2020, en une seule année, plus de 12 millions d’animaux ont été élevés et mis à mort sans même avoir été utilisés dans des procédures expérimentales. Il devient donc urgent, à son sens, d’accélérer la mise en œuvre de ces méthodes alternatives. 

Quelle place pour l’expérimentation animale en éthologie ? (Michel Kreutzer)

Les animaux sont-ils uniquement l’objet d’expérimentation en biologie ou en médecine ? Michel Kreutzer, professeur émérite en éthologie, intervient pour rappeler qu’ils sont également utilisés dans le cadre d’expérimentations visant à comprendre leur comportement, que ce soit dans leur milieu naturel ou dans un environnement expérimental.

Michel Kreutzer choisit d’aborder son parcours d’éthologue afin de montrer comment un chercheur peut être confronté tout au long de sa carrière à des questionnements sur le choix de sa recherche mais aussi sur la portée morale de son expérience. 

En 1970, lors de son DEA de neurophysiologie, il étudie les voies de la douleur dans un laboratoire de neuroscience. L’idée est d’implanter des électrodes sur des chats soit dans le cadre d’expériences chroniques (sur plusieurs semaines), soit dans le cadre d’expériences aigues (sur une même journée), avec à la clé une destinée fatale pour l’animal. Au bout de quelques mois, il a fait le choix d’arrêter, supportant difficilement la conduite des expériences. Pourtant, ses recherches avaient pour objectif de mettre au point des agents pharmacologiques pour soigner les humains

Après avoir été recruté à l’université de Nanterre en 70, il a rejoint un laboratoire dont l’un des objectifs était d’étudier la communication acoustique des oiseaux chanteurs dans leur environnement naturel. L’idée était d’enregistrer les oiseaux dans la nature, modifier les sons en laboratoire et leur diffuser les sons ainsi transformés. L’intervention par les chercheurs était alors limitée à une fois par an sur le même oiseau. Cependant, pour lui, la question doit se poser de la légitimité du chercheur qui, au nom de la science, dérange des animaux dans leur espace naturel, en créant une situation de fait artificielle. Il se demande si, un jour, ce genre de travaux ne sera pas interdit. 

Ses recherches ont ensuite porté sur les critères de préférence des femelles pour un type de chant. Pour ce faire, il existe la possibilité de capturer les femelles, les amener en laboratoire et leur mettre un implant d’œstradiol sous la peau avant de leur diffuser des chants pour déceler leur préférence. Pour sa part, il a eu recours à des canaris en laboratoire habitués à vivre en cage. La méthode était invasive et, pourtant, in fine l’objectif était de montrer que les oiseaux ont bien une vie hédonique, puisqu’ils ressentent du plaisir à l’écoute de certains chants. Pour prouver ce fait scientifique pourtant fondamental, Michel Kreutzer s’est retrouvé paradoxalement à mettre l’animal dans une position de difficulté

Se pose donc la question, pour Michel Kreutzer, de l’éthique de la connaissance face à l’éthique de l’action. La première éthique renvoie à l’idée qu’il ne devrait pas y avoir de raisons de limiter ses connaissances sur les éléments et interactions de ce monde. La deuxième renvoie à la question de savoir jusqu’où peut-on se sentir autorisé d’expérimenter pour pouvoir obtenir ces connaissances. Selon lui, les deux ne sont pas synchrones. Tout au long d’une carrière, ces questions s’imposent au chercheur. La mise en place des comités d’éthique a permis d’alléger la charge morale sur les scientifiques, puisqu’ils n’ont plus à décider seuls. Cependant, on peut aussi se demander quelle connaissance ont les comités d’éthique quant aux questionnements et méthodes des chercheurs.

Pour achever son propos, Michel Kreutzer indique être favorable à une science éthologique qui puisse se poursuivre en discutant des questions qui paraissent les plus intéressantes et pertinentes sur le plan scientifique et en s’interrogeant sur le type d’actions que le chercheur est autorisé à entreprendre pour répondre à ces questions.


[1] Pour en savoir plus sur la réglementation, n’hésitez pas à consulter notre article dédié aux comités d’éthique avec en prime un podcast de Samuel Vidal, animateur du comité d’éthique à VetAgro Sup et responsable du bien-être au laboratoire Biovivo. 

L’amélioration du bien-être des animaux est toujours une contrainte pour les éleveurs, VRAI ou FAUX ?

FAUX, l’amélioration du bien-être des animaux n’est pas nécessairement une contrainte pour les éleveurs et bien-être humain et bien-être animal sont étroitement liés. Cependant, selon les situations et les améliorations à mettre en œuvre, celles-ci peuvent être contraignantes pour l’éleveur, qui ne doit alors pas être le seul à supporter cette charge. 

La prise en compte et l’amélioration du bien-être des animaux dans les élevages (mais aussi à la maison, en expérimentation animale…) sont une attente importante de la société, c’est un fait établi !  

Ces améliorations peuvent, suivant les cas, être mises en œuvre par une évolution des pratiques ou de l’environnement des animaux. Certaines des améliorations demandent peu d’effort, alors que d’autres nécessitent de revoir en profondeur certaines façons de travailler ou un investissement important. Les contraintes pour les éleveurs ne seront alors pas les mêmes. 

De plus, certaines améliorations, une fois mises en place, peuvent être sources de satisfaction et participer au bien-être des éleveurs, selon le principe de « un seul bien-être ».

En plus de l’analyse de la bibliographie, nous avons interrogé trois éleveurs de porcs (Adrien, Eric, Frédéric) qui ont vécu la mise en groupe des truies. Nous avons retranscrit certains de leurs propos.

L’amélioration du bien-être animal et les contraintes financières

L’amélioration du bien-être animal dans les élevages peut nécessiter des investissements pouvant parfois être très importants. C’est par exemple le cas des modifications des bâtiments d’élevage imposées par les évolutions réglementaires de ces dernières années.

Les investissements importants liés à des modifications des bâtiments

La directive européenne 2001/88/CE, transposée en droit français par l’arrêté du 16 janvier 2003, a imposé que depuis le 1er janvier 2013, les truies gestantes soient logées en groupe (au minimum pour la période entre 4 semaines après la saillie et 7 jours avant la mise-bas), alors qu’auparavant elles étaient bloquées dans des cases individuelles.

Cette évolution, basée sur de meilleures connaissances scientifiques concernant les besoins comportementaux des truies[1] (plus d’espace, plus grande liberté de mouvement, meilleure expression du comportement social) a nécessité de modifier les bâtiments d’élevage, soit par rénovation, soit par la construction de nouveaux bâtiments. Ces modifications ont représenté un coût et une charge de travail conséquents pour les éleveurs.

En filière volaille, le décret du 5 février 2022 relatif à l’interdiction de mise à mort des poussins des lignées de l’espèce Gallus gallus destinées à la production d’œufs de consommation a imposé aux couvoirs de s’équiper d’équipements permettant de déterminer in ovo (c’est-à-dire dans l’œuf) le sexe de l’embryon pour le détruire avant l’éclosion (pour consulter notre décryptage du décret). Cette évolution réglementaire empêche la mise à mort de millions de poussins mâles tous les ans, mais a nécessité d’investir de manière importante (plusieurs dizaines de millions d’euros) dans de nouveaux équipements. 

Dans certains cas, des aides de l’Etat, ou d’autres mécanismes, sont mis en place pour diminuer la charge financière qui pèse sur les éleveurs ou les filières. Ainsi, dans le cas du sexage in ovo, l’Etat, à travers FranceAgriMer, a financé une partie des équipements dans les couvoirs à hauteur de 10.5 millions d’euros. En parallèle, une cotisation interprofessionnelle a été mise en place pour mutualiser les coûts induits entre les couvoirs et la grande distribution[2].

Pour la mise aux normes des élevages de porcs pour le passage en groupe des truies, l’Etat a mis en place une subvention, sous certaines conditions, qui était fixée à 20% des investissements éligibles dans la limite de 15 000 euros par élevage[3].

Malgré tout, une partie des investissements restent souvent à la charge des éleveurs et certaines évolutions liées au bien-être des animaux représentent alors une contrainte économique qu’il faut compenser.

Les investissements au fil de l’eau

D’autres investissements sont nécessaires dans le cadre d’une démarche d’amélioration continue. On peut penser aux tapis pour assurer un meilleur confort de couchage aux vaches laitières dans les logettes, aux matériaux manipulables pour l’enrichissement des conditions de vie des porcs, aux enrichissements mis en place dans les bâtiments volaille… Tous ces investissements, favorables au bien-être des animaux, ont un coût pour les éleveurs et représentent une contrainte financière. 

Mais l’amélioration du bien-être des animaux ne passe pas uniquement par des aménagements des bâtiments… elle peut passer également par une évolution des pratiques d’élevage

L’amélioration du bien-être animal par des changements profonds des pratiques d’élevage

Des changements de pratiques peuvent également être sources de contraintes pour les éleveurs, que ce soit lorsque ces changements imposent de fortes modifications ou lorsque les alternatives existantes sont difficiles à mettre en œuvre. 

En premier lieu, ces changements de pratiques peuvent se heurter à une certaine “résistance au changement”. De la pédagogie et une bonne explication des objectifs et des modalités peuvent aider l’éleveur à mieux comprendre l’intérêt d’investir dans ces changements pour l’amélioration du bien-être des animaux.  

Même après la période d’adaptation, certains changements peuvent rester contraignants pour les éleveurs.

Prenons l’exemple de l’interdiction de la castration à vif chez le porcelet entrée en vigueur depuis le 1er janvier 2022 suite à l’arrêté du 24 février 2020 (pour consulter notre décryptage de l’arrêté). Cette interdiction peut être remplacée par différentes alternatives : maintien de porcs mâles entiers, immunocastration ou encore la castration chirurgicale avec utilisation d’un traitement analgésique et anesthésique local. Par dérogation, cette castration chirurgicale peut être réalisée par les éleveurs à condition qu’ils aient suivi la formation réglementaire conçue par l’IFIP (Institut du porc)[4]

L’utilisation d’anesthésie et d’analgésie permet de supprimer la douleur lors de la castration et est donc bénéfique au bien-être des porcelets. Elle nécessite cependant un changement dans la pratique des éleveurs. En effet, alors qu’auparavant les porcelets nécessitaient d’être manipulés une seule fois pour la castration proprement dite, il faut maintenant deux manipulations, une pour l’anesthésie et l’analgésie, puis une pour la castration après 15 minutes d’attente le temps que le produit fasse effet. Cette évolution nécessite donc plus de temps, plus de manipulations, une organisation différente qui peut être perçue comme une contrainte par les éleveurs… 

Cependant, et c’est important de le souligner, la majorité des améliorations du bien-être des animaux peuvent également être réalisées via des actions quotidiennes, ou simplement une meilleure observation des animaux, qui ne nécessitent pas d’investissement important, ni de bouleversement des pratiques.

L’amélioration du bien-être animal au fil de l’eau 

L’amélioration des pratiques relationnelles

Une des voies importantes d’amélioration du bien-être animal est l’amélioration des pratiques relationnelles humain-animal. Les interventions humaines en élevage sont nombreuses et leur perception par l’animal ont une influence importante sur son bien-être. L’instauration de pratiques relationnelles humain-animal positives et respectueuses constitue une voie d’amélioration incontournable pour réduire les situations de stress de l’animal lors des différentes interventions, qu’elles nécessitent un contact humain ou uniquement sa présence[5]. Or, bien souvent, améliorer les pratiques relationnelles n’impose pas d’investissement ou de modification de pratiques démesurée pour l’éleveur. 

En effet, la construction de la relation humain-animal se fait progressivement, au fur et à mesure des différentes interactions. C’est la balance entre les interactions positives et les interactions négatives qui va déterminer l’état de la relation. L’éleveur, et tous les humains intervenant auprès des animaux, doivent donc favoriser des contacts positifs (mouvements calmes, contacts non brusques, voix calme, etc.). Une habituation des animaux, notamment à certaines périodes sensibles de la vie de l’animal, est également favorable.  Pour en savoir plus sur la relation humain-animal, n’hésitez pas à consulter notre page dédiée.

L’amélioration par l’observation des animaux

Une autre voie d’amélioration relativement facile est de prendre le temps de mieux observer les animaux et leurs comportements, de reconnaître leurs émotions pour être en mesure de mieux identifier leurs besoins, de repérer plus précocement d’éventuels troubles et in fine améliorer leur bien-être. De même, mieux connaître leurs perceptions sensorielles et leurs réactions peut grandement améliorer l’approche des animaux et ainsi favoriser l’établissement d’une relation humain-animal positive

Améliorer le bien-être des animaux par une amélioration des pratiques relationnelles, par une meilleure connaissance de leurs comportements, de leurs émotions et de leurs besoins est à la portée de tous, bien que cela nécessite au préalable d’être suffisamment formés. De nombreuses formations existent et sont disponibles.

💡En résumé
En fonction des situations et des pistes envisagées, l’amélioration du bien-être des animaux en élevage peut être plus ou moins contraignante. Une amélioration par une attention quotidienne accrue ne représente pas trop de contraintes alors qu’une amélioration nécessitant de revoir le bâtiment ou certaines pratiques peut vite être difficile à mettre en œuvre. Heureusement, beaucoup d’améliorations du bien-être des animaux se révèlent également être bénéfiques au bien-être de l’éleveur et ce bénéfice vient alors faire pencher la balance du côté positif.

L’amélioration du bien-être des animaux est souvent bénéfique au bien-être de l’éleveur

L’amélioration du bien-être des animaux est souvent également une source d’amélioration du bien-être des éleveurs. Ce principe est décliné sous le concept de « One Welfare », ou « un seul bien-être » qui indique que le bien-être des animaux, le bien-être de l’humain et la préservation de l’environnement sont étroitement liés. 

L’amélioration du bien-être des animaux peut influencer le bien-être humain par l’intermédiaire d’une plus grande facilité de manipulation, limitant ainsi le stress et les risques d’accident, mais aussi de manière indirecte en améliorant la productivité des animaux et en diminuant les charges liées aux maladies par exemple, augmentant de fait le revenu de l’éleveur. Enfin, il a été montré qu’avoir un état de bien-être élevé pour ses animaux était souvent une source de satisfaction pour les éleveurs. 

Amélioration des manipulations

Une bonne relation humain-animal, favorisée par une bonne sociabilisation mais aussi par une bonne connaissance des animaux et de leur propre perception, participe au bien-être des animaux mais également au bien-être des éleveurs[6]. En effet, les animaux avec une moindre peur de l’humain sont plus faciles à approcher, plus calmes lors des déplacements et des manipulations alors que certaines tâches sont plus difficiles et dangereuses face à un animal qui cherche à fuir le contact humain[7]. Attention toutefois, il arrive que des animaux ayant une très faible peur de l’humain deviennent de fait plus difficiles à manipuler[8]. L’importance d’une bonne relation humain-animal se retrouve également lors du transport vers l’abattoir. Des interactions négatives lors du chargement ou du déchargement peuvent avoir une incidence sur la qualité de la viande[9].

Une bonne relation humain-animal est donc particulièrement importante et bénéfique pour l’éleveur, d’autant que les contacts et les interactions sont particulièrement fréquents en élevage.

Impact sur la production et la santé des animaux

L’amélioration du bien-être des animaux participe également souvent à une augmentation de la rentabilité des élevages, que ce soit par l’intermédiaire d’une amélioration des performances des animaux ou une diminution des charges

Le lien le plus évident entre bien-être et productivité est la réduction de la mortalité. Les conditions permettant d’améliorer la survie des animaux augmente les volumes de vente de l’éleveur. C’est le cas par exemple de la mortalité néonatale (agneaux, porcelets, veaux, etc.) qui peut être réduite par de meilleures conditions de logement, une meilleure prise en compte des maladies ou une distribution rigoureuse du colostrum. En effet, la santé peut se dégrader suite à un stress subi par l’animal, ce qui diminue sa réponse immunitaire et augmente sa vulnérabilité aux maladies[10]. L’éleveur doit alors faire intervenir son vétérinaire, acheter des traitements, passer du temps avec les animaux pour les soigner, ce qui peut, outre la baisse de performances, représenter des coûts non négligeables. Des améliorations du bien-être peuvent limiter ces impacts négatifs et il a par exemple été démontré que rajouter de la paille est à la fois économiquement rentable et favorable au bien-être des vaches[11].

De nombreuses études ont montré que l’amélioration du bien-être des animaux est également un facteur d’amélioration des performances des animaux. Ainsi, il a été démontré que les performances de reproduction chez la truie[12] ou que la production de lait chez la vache laitière étaient améliorées par une bonne relation humain-animal[13]. De même, un confort amélioré chez la vache laitière améliore sa productivité et sa longévité[14]. Les résultats de cette étude ont d‘ailleurs souligné que pour maximiser les avantages financiers, tous les aspects du logement devaient être réfléchis en termes de bien-être. Enfin, il a été montré que les agneaux élevés dans un environnement confortable et enrichi avaient une meilleure croissance, des carcasses plus lourdes et mieux conformées que des agneaux élevés dans un environnement non enrichi[15].

Impact sur la satisfaction de l’éleveur et les conditions de travail

La très grande majorité des éleveurs sont très fiers de prendre soin de leurs animaux et de produire des animaux sains et avec un bon niveau de bien-être[16]. Ainsi, les éleveurs ayant des élevages avec un bon niveau de bien-être ont une plus grande satisfaction et un stress limité par rapport aux éleveurs ayant des élevages où le niveau de bien-être est plus faible[17].

Impact sur le prix de vente

Enfin, pour finir, l’amélioration du bien-être des animaux peut être valorisée commercialement via certains labels ou démarches volontaires comme l’étiquetage bien-être animal développée pour le poulet de chair.

Pour résumer

  • Bien souvent l’amélioration du bien-être animal est favorable au bien-être de l’éleveur et il doit donc être vu comme une opportunité et non comme une contrainte. C’est notamment le cas lorsque les améliorations se font au jour le jour par une amélioration des pratiques et une meilleure observation des animaux.
  • Pour autant, certaines améliorations du bien-être peuvent être coûteuses pour les éleveurs et nécessiter des investissements importants. De même, certaines améliorations peuvent aboutir à une diminution des recettes de l’éleveur. Réduire la densité en élevage et augmenter l’espace disponible par animal peut être couteux pour l’éleveur, qui élève moins d’animaux dans le même espace donné, mais qui trouve d’autres contreparties (amélioration de la productivité de chaque animal, meilleur prix de vente, amélioration de la qualité de travail, etc.). 
  • Il paraît important d’établir des processus d’accompagnement et d’aide lors de la mise en place de ces améliorations relatives au bien-être animal pour les éleveurs, qui ne devraient pas prendre en charge seuls les coûts supplémentaires. Cela peut par exemple passer par des subventions de l’Etat, une réduction des marges des distributeurs ou une acceptation des consommateurs de payer les produits d’origine animale un peu plus chère. 
  • Enfin, il faut bien avoir en tête qu’il n’est pas toujours évident de relier des améliorations du bien-être à des bénéfices financiers, et que de nombreux autres bénéfices (charge de travail, satisfaction, facilité de manipulation, etc.) sont associés et doivent alors être pris en compte dans la balance coûts/bénéfices.

Pour aller plus loin

Tallet C., Courboulay V., Devillers N., Meunier-salaün M.-C., Prunier A., Villain A. (2020). Mieux connaître le comportement du porc pour une bonne relation avec les humains en élevage. INRAE Productions Animales33(2), 81–94. https://doi.org/10.20870/productions-animales.2020.33.2.4474


[1] EFSA, 2007. Animal health and welfare aspects of different housing and husbandry systems for adult breeding boars, pregnant, farrowing sows and unweaned piglets. EFSA Journal 5(10), https://doi.org/10.2903/j.efsa.2007.572

[2] https://www.lafranceagricole.fr/actualites/article/806640/une-cotisation-interprofessionnelle-pour-les-surcouts-de-l-ovosexage

[3] note de service du 6 février 2008 : https://info.agriculture.gouv.fr/gedei/site/bo-agri/instruction-N2008-4006. La subvention était majorée en zone de montagne ou pour les jeunes agriculteurs.

[4] https://ifip.asso.fr/centre-de-ressources-castrabea/

[5] L’amélioration des interactions entre l’animal et l’humain par de meilleures pratiques relationnelles. Fascicule « Améliorer le bien-être animal » Editions Quae https://www.quae-open.com/produit/184/9782759234615/le-bien-etre-des-animaux-d-elevage

[6] Tallet C., Courboulay V., Devillers N., Meunier-Salaün M.-C., Prunier A., Villain A., 2020. Mieux connaître le comportement du porc pour une bonne relation avec les humains en élevage. INRAE Productions Animales 33(2), 81–94. https://doi.org/10.20870/productions-animales.2020.33.2.4474

[7] Hemsworth P., 2000. Behavioural principles of pig handling. In: Grandin T. (Eds), Livestock handling and transport, 2nd edition, 255-274. CAB International, Oxon, Wallington, UK.

Rault J.-L., Waiblinger S., Boivin X., Hemsworth P., 2020. The Power of a Positive Human–Animal Relationship for Animal Welfare. Frontiers in Veterinary Science 7,  https://doi.org/10.3389/fvets.2020.590867

[8] Breuer K., Hemsworth P. H., Coleman G. J., 2003. The effect of positive or negative handling on the behavioural and physiological responses of nonlactating heifers. Applied Animal Behaviour Science 84 (1), https://doi.org/10.1016/S0168-1591(03)00146-1

[9] Terlouw C., Cassar-Malek I., Picard B., Bourguet C., Deiss V., et al., 2015. Stress en élevage et à l’abattage : impacts sur les qualités des viandes. Productions Animales 28(2), 169-182. https://doi.org/10.20870/productions-animales.2015.28.2.3023

[10] Elodie Merlot, 2004. Conséquences du stress sur la fonction immunitaire chez les animaux d’élevage. Productions Animales 17(4), 255-264, https://hal.inrae.fr/hal-02682983v1

[11] Bruijnis M.R.N., Hogeveen H., Stassen E.N., 2013. Measures to improve dairy cow foot health: consequences for farmer income and dairy cow welfare. Animal 7(1), 167–175, https://doi.org/10.1017/S1751731112001383

[12] Courboulay V., Barbier B., Bellec T., et al., 2022. RHAPORC – Améliorer la relation homme animal en élevage porcin au bénéfice de l’homme et de ses animaux. Innovations Agronomiques 85, 323-334, https://doi.org/10.17180/ciag-2022-vol85-art25

[13] Waiblinger S., Menke C., Coleman G., 2002. The relationship between attitudes, personal characteristics and behavior of stockpeople and subsequent behavior and production of dairy cows. Applied Animal Behaviour Science 79 (3),195-219, https://doi.org/10.1016/S0168-1591(02)00155-7

[14] Villettaz Robichaud M., Rushen J., de Passillé A.M., Vasseur E., Orsel K., Pellerin D., 2019.
Associations between on-farm animal welfare indicators and productivity and profitability on Canadian dairies: I. On freestall farms. Journal of Dairy Science 102(5), https://doi.org/10.3168/jds.2018-14817

[15] Aguayo-Ulloa L.A., Miranda-de la Lama G.C., Pascual-Alsonso M., Olleta J.L., Villarroel M., Sanudo C., Maria G.A., 2014. Effect of enriched housing on welfare, production performance and meat quality in finishing lambs: the use of feeder ramps. Meat Science 97 (1), 42–48, https://doi.org/10.1016/j.meatsci.2014.01.001

[16] Hemsworth P.H., Barnett J., Coleman G., 2009. The integration of human-animal relations into animal welfare monitoring schemes. Animal Welfare  18(4), 335–345, https://doi.org/10.1017/S0962728600000737

Hemsworth P.H., Coleman G.J., 2011. Human livestock: the stockperson and the productivity and welfare of intensively farmed animals, 2nd edition. CABI, Wallingford.

[17] Gunnar Hansen B., Østerås O., 2019. Farmer welfare and animal welfare- Exploring the relationship between farmer’s occupational well-being and stress, farm expansion and animal welfare.
Preventive Veterinary Medicine 170, https://doi.org/10.1016/j.prevetmed.2019.104741