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Interdisciplinarité et condition animale
Le 11 mai avait lieu la 5ème Journée Interdisciplinaire sur la Condition Animale (JICA). Pour comprendre l’objectif de cette journée, nous sommes allés à la rencontre de son organisateur, Romain Espinosa, chercheur en économie au CNRS, qui travaille sur l’économie de la condition animale et de l’alimentation végétale.
Au programme :
- 0:10 : Pouvez-vous vous présenter et présenter vos recherches ?
- 0:21 : Qu’est-ce que la JICA ?
- 0:50 : Quel est l’objectif de cette rencontre ?
- 1:15 : Pourquoi parler de « condition animale » et non de « bien-être animal » ?
- 1:55 : Pourquoi l’interdisciplinarité ?
- 3:13 : Pensez-vous que la science doit être militante ? Ne perdrait-elle pas alors en objectivité ?
Pour retrouver le programme de la JICA
Pour écouter notre podcast qui résume l’ouvrage de Romain Espinosa Comment sauver les animaux :
« L’expérimentation animale aujourd’hui… et demain ? »

Le 18 avril 2023, à l’Institut Curie, Georges Chapouthier, chercheur émérite au CNRS, biologiste et philosophe, en collaboration avec la Société de biologie a organisé une séance intitulée « L’expérimentation animale aujourd’hui… et demain ? ». L’objectif de cette séance était de rappeler les enjeux historiques et philosophiques autour de l’expérimentation animale mais aussi d’évoquer les alternatives possibles à l’utilisation d’animaux. « Remplacer » les animaux vivants par des méthodes alternatives constitue de fait un des principes défendus par la règle des 3R (remplacer, réduire, raffiner) entérinée par la réglementation européenne et française[1].
Nous vous proposons une retranscription libre de cette séance, qui n’a pas vocation à être exhaustive. Les propos rapportés ici ne reflètent pas nécessairement les positions de la Chaire Bien-être animal et sont une libre retranscription, ce qui signifie que, malgré le soin apporté, des erreurs d’interprétation demeurent possibles.
Le programme des interventions :
- « Encourager le développement des méthodes alternatives à l’expérimentation animale » par Louis Schweitzer, président de la Fondation Droit Animal, Ethique et Sciences (LFDA).
- « Enjeux historiques et philosophiques de l’expérimentation animale » par Georges Chapouthier, chercheur émérite au CNRS, biologiste et philosophe.
- « Les méthodes alternatives à l’expérimentation animale : présent et futur » par Francelyne Marano, professeure émérite de biologie cellulaire et toxicologie qui était, jusqu’à récemment, présidente du GIS Francopa dédié au développement, à la validation et à la diffusion de méthodes alternatives pour l’expérimentation animale.
- « Aspects juridiques des méthodes alternatives à l’expérimentation animale » par Aloïse Quesne, maître de conférence en droit privé à l’Université d’Evry, enseigne le droit à l’expérimentation animale depuis 2012 et est lauréate du prix de droit de la LFDA.
- « Quelle place pour l’expérimentation en éthologie ? » par Michel Kreutzer, professeur émérite en éthologie.
Une nécessité de développer des méthodes alternatives à l’expérimentation animale (Louis Schweitzer)
La séance débute avec une intervention de Louis Schweitzer, président de la Fondation Droit Animal, Ethique et Sciences, qui souligne la nécessité de développer des méthodes alternatives à l’utilisation d’animaux vivants en recherche. Pour lui, un effort doit également être fait pour obtenir l’adhésion des scientifiques à la règle des 3R et les associer autant que possible. Dans ce cadre, il rappelle l’importance du Centre de référence français pour les questions relatives aux 3R (GIS FC3R) créé en 2021 et qui, en 2022, a lancé un appel à projet sur la thématique du remplacement. Il insiste sur la nécessité d’augmenter les moyens financiers dédiés aux projets visant à remplacer l’expérimentation animale, la France étant sur ce plan moins avancée que la Grande-Bretagne par exemple. Louis Schweitzer rappelle que depuis 1987, la LFDA remet le Prix de biologie Alfred Kastler pour encourager le développement de méthodes substitutives à l’expérimentation animale. Ce prix, doté d’un montant de 4000 euros, en est à sa 13ème édition cette année et les candidatures sont ouvertes jusqu’à fin juin.
Les enjeux philosophiques et historiques de l’expérimentation animale (Georges Chapouthier)
D’Aristote à Claude Bernard, Georges Chapouthier rappelle l’importance des enjeux philosophiques et moraux qui ont sous-tendu l’histoire de l’expérimentation animale.
Au cours de la période Antique s’opposent « scientifiques » et « moralistes ». Les uns (dont Aristote, Hippocrate, Gallien) pratiquent des dissections et des vivisections sur humains et animaux (sans pour autant s’adonner à des expérimentations au sens moderne) mais ne se questionnent pas sur l’aspect moral de ces expériences, ni ne témoignent de sympathie envers les animaux. Face à eux, les autres, comme Pythagore et Plutarque, sont à l’inverse très sensibles au respect de l’animal, défendant même des positions végétariennes.
Si au cours du Moyen-Âge l’intérêt scientifique pour les animaux semble disparaître, il reprend à la période de la Renaissance notamment avec Vésale, Colombo, Eustache, Fallope qui pratiquent vivisections et dissections, sans que l’on puisse parler encore de biologie expérimentale. Ce sont de fait les réflexions de Descartes, au XVIIème, qui posent les jalons d’une pensée expérimentale. Descartes porte, en outre, un regard sur l’animal qui influencera largement par la suite celui des hommes sur ce dernier. En effet, il défend une vision « matérialiste » et dualiste qui fait la distinction entre le corps et l’âme, âme dont seraient dépourvus les animaux. Cela le conduit à assimiler ces derniers à de simples machines, vision reprise et développée, à sa suite, par son élève Malebranche.
Il faut attendre Magendie et son élève, Claude Bernard, pour que l’expérimentation au sens moderne du terme – c’est-à-dire qui se base sur un système hypothético-déductif – fasse son apparition. Sous influence cartésienne, cette pensée expérimentale ne se fonde plus uniquement sur de simples observations, mais bien sur la mise en place d’un raisonnement et d’un système de confirmation ou d’infirmation d’hypothèses initiales. Par ailleurs, Claude Bernard, qui pratique vivisections et dissections sur les animaux, les désigne comme des « machines vivantes », sans leur témoigner de sympathie particulière ni y voir un problème moral. En revanche, au nom de la morale, il ne pratique pas de vivisection sur les humains, quel que soit l’intérêt scientifique et le bénéfice que pourraient en retirer la science et la santé de l’humanité.
Georges Chapouthier poursuit en soulignant que, paradoxalement, la biologie post-Bernardienne connaît un retour conceptuel : à force d’analyser par des méthodes cartésiennes les corps des animaux et avec l’arrivée des thèses évolutionnistes, les scientifiques commencent à réaliser qu’ils ressemblent à celui des humains. Cette méthode d’analyse conduit même à déceler des processus émotionnels et intellectuels proches des nôtres. La question de la sensibilité animale consciente fait alors son chemin, au point que l’on parle aujourd’hui d’animaux « sentients », qui sont pourvus de nociception (schématiquement de douleur dite « réflexe ») et de processus de conscience, les conduisant à ressentir consciemment la douleur et à en souffrir. Selon lui, cette sentience animale concerne ainsi les animaux vertébrés, dont les poissons, mais aussi les mollusques céphalopodes, sachant que des questions se posent concernant certains crustacés (dont le homard et le crabes), voire certains insectes (comme l’abeille).
Pour conclure son intervention, Georges Chapouthier souligne que la biologie Bernardienne vit une tension interne. De fait, à certains égards, les animaux sont, sur le plan scientifique, suffisamment proches pour que l’on puisse en déduire des conséquences sur le plan expérimental, mais, en même temps, on tend à penser qu’ils sont suffisamment loin pour qu’aucun problème moral ne se pose. C’est cette contradiction entre le « suffisamment proche » et le « suffisamment loin » qui, pour lui, doit être soulignée.
Quelles méthodes alternatives à l’expérimentation animale ? (Francelyne Marano)
On ne peut parler de remplacer l’expérimentation animale sans évoquer les alternatives concrètes développées. C’est l’objet de l’intervention de Francelyne Marano, professeure émérite de biologie cellulaire et toxicologie. Elle souligne qu’environ deux millions d’animaux sont utilisés en France pour servir la recherche expérimentale, mais aussi réaliser des études toxicologiques ou encore des recherches appliquées en santé humaine, animale et végétale. Ce nombre est encore important, d’où la nécessité de développer des méthodes alternatives pour le réduire, comme le veut la règle des 3R conceptualisée par William Russel et Rex Burch en 1959. Elle rappelle qu’une méthode alternative est une méthode qui permet de « remplacer » l’expérimentation animale mais aussi de « réduire » l’utilisation de l’animal pour des tests spécifiques et de « raffiner », c’est-à-dire d’améliorer une technique pour le bien-être animal.
Bien que Francelyne Marano considère qu’il n’est actuellement pas possible d’éliminer totalement l’utilisation des animaux en recherche, il existe aujourd’hui plusieurs méthodes dites de « substitution », qui permettent de substituer l’utilisation des animaux :
- Les méthodes ex vivo (prélèvements de tissus animaux)
- Les méthodes in vitro (culture cellulaire) qui permettent de mimer la réalité physiologique de l’organe. Il est ainsi aujourd’hui possible de cultiver presque tout type de cellules d’origine humaine. A partir de cellules souches, les scientifiques sont même capables de réaliser des organoïdes, voire des mini-cerveaux.
- Les méthodes in silico (modèles biomathématiques grâce au numérique). Ces modèles mathématiques se fondent sur toutes les bases de données issues d’expérimentation in vivo et in vitro pour permettre – en toxicologie notamment – de ne pas utiliser les animaux à des fins réglementaires.
Francelyne Marano évoque également l’importance du développement de la bio impression 3D pour une automatisation plus poussée, avec des retombées importantes en pharmacologie et toxicologie. Les scientifiques sont par ailleurs aujourd’hui capables de réaliser des organes sur puce, technologie qui permet de mettre en relation, par un milieu circulant, des cellules provenant de différents organes pour reproduire ce qui se passe d’un point de vue physiologique dans l’organisme, permettant une approche plus intégrée. Ces procédés ne permettent pas en revanche de mimer complètement l’animal, mais assurent une réduction de son utilisation.
Ces méthodes substitutives sont possibles grâce à des synergies entre plusieurs champs de recherche (physique, biologie, chimie, informatique) qui selon Jocelyne Morano, se multiplient.
Se développent également aujourd’hui des modèles d’animaux substitutifs. Ainsi, pour remplacer les animaux reconnus sensibles, les scientifiques recourent à d’autres animaux, pas encore reconnus comme sensibles, tels que les drosophiles (mouches), les oursins ou les nématodes.
Enfin, Francelyne Marano rappelle que 30% des animaux de laboratoire sont utilisés pour évaluer la sécurité des médicaments et des autres produits chimiques, ce qu’on nomme toxicologie. Cette évaluation est rendue obligatoire par le règlement européen dit REACH. Elle rappelle qu’il existe déjà différentes méthodes alternatives validées pour l’évaluation de la sécurité des produits chimiques, notamment pour la génotoxicité, le screening des produits chimiques, la cosmétologie, etc.
Aspects juridiques des méthodes alternatives à l’expérimentation animale (Aloïse Quesne)
Aloïse Quesne, maître de conférences en droit privé à L’université d’Evry, rappelle que le texte principal qui régit l’expérimentation animale est la directive européenne du 22 septembre 2010 relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques, entrée en vigueur à partir du 1er février 2013. Pour elle, cette directive a suscité de nombreux espoirs puisque, dans son texte même, elle affiche l’objectif européen de remplacer totalement à terme « les procédures appliquées à des animaux vivants à des fins scientifiques et éducatives, dès que ce sera possible sur un plan scientifique ». Dix ans après son entrée en vigueur, Aloïse Quesne déplore que les alternatives ne se soient pas suffisamment développées.
Cette directive a toutefois permis l’obligation de validation des projets d’expérimentation par le Ministre de la recherche après évaluation favorable par un comité d’éthique. Actuellement, les 108 comités d’éthique français sont placés sous l’égide du Comité national de réflexion éthique sur l’expérimentation animale. Ce dernier est chargé d’établir le bilan annuel d’activité des comités d’éthique en expérimentation animale et formuler des recommandations visant à améliorer leurs pratiques. Le seul bilan publié à ce jour, en novembre 2022 pour l’année 2021, a soulevé, selon Aloïse Quesne, diverses interrogations :
- Questionnement concernant l’indépendance et l’impartialité des comités d’éthique qui sont parfois rattachés à un seul établissement (avec donc des risques de collusion d’intérêt)
- Manque de proportionnalité de la représentation des cinq compétences obligatoires présentes. Un comité d’éthique doit, en effet, comporter des personnes justifiant de compétences dans la conception de procédures expérimentales sur les animaux, de compétences dans la réalisation de ces procédures, de compétences relatives à la souffrance animale dans le cadre des soins ou de la mise à mort des animaux, au moins un vétérinaire et enfin au moins une personne non spécialiste. Le rapport a notamment souligné que les compétences relatives à la souffrance et à l’intérêt des animaux étaient sous-représentées dans les comités.
- Nécessité d’augmenter la formation permanente (pour l’instant non obligatoire) des membres des comités d’éthique.
- Nécessité de créer un fichier national indépendant qui pourrait éclairer les membres des comités dans leur évaluation et particulièrement en matière de remplacement des animaux. De fait en l’absence de centralisation de ces méthodes, il est parfois difficile d’en avoir connaissance.
Aloïse Quesne indique que le 16 septembre 2021, le Parlement européen a approuvé à la quasi-unanimité une résolution intitulée « Plans et mesures visant à accélérer le passage à une innovation sans recours aux animaux dans la recherche, les essais réglementaires et l’enseignement ». A cette occasion, il reconnaît qu’il existe des obstacles administratifs qui s’opposent à la mise en place des méthodes de remplacement, que leur utilisation n’est pas suffisamment imposée et que le financement de leur développement reste insuffisant. Les députés européens jugent par ailleurs, en s’appuyant sur l’avis du Centre commun de recherche (JRC) de la Commission, qu’une forte dépendance à l’expérimentation animale pourrait même entraver le progrès dans certaines recherches sur les maladies pour lesquelles les modèles animaux ne permettent pas d’appréhender les caractéristiques essentielles de maladies humaines.
Aloïse Quesne estime, en outre, qu’il serait important de refuser des projets de recherche pour lesquels les expérimentations sont, d’après elle, inutiles ou remplaçables. Elle cite le cas des vaches à hublot utilisées pour optimiser la performance des bovins par le biais de leur alimentation. Elle pointe également du doigt une certaine incohérence de la Commission européenne en ce qui concerne les tests réalisés en tabacologie sur les animaux. Cette dernière reconnaît en effet, dans une réponse écrite du 18 février 2022, qu’il n’existe pas d’interdiction en la matière, alors même que ces tests pourraient être remplacés par des expérimentations in vitro.
Un autre facteur qui freine, pour Aloïse Quesne, la recherche sans animaux est l’obligation réglementaire de recourir aux animaux dans le cadre des tests toxicologiques. Le règlement européen du 18 décembre 2006 concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques (règlement dit REACH) oblige en effet la réalisation de tests pour vérifier l’innocuité des produits chimiques. Des millions d’animaux sont ainsi utilisés à cette fin dans l’UE. Cependant, la Commission européenne a adopté le 3 mars 2023 un règlement qui approuve plus de 100 méthodes nouvelles pour les essais relatifs à la sécurité des produits chimiques, la majorité d’entre elles n’impliquant pas d’animaux.
Aloïse Quesne souligne encore l’importance des initiatives citoyennes européennes pour faire avancer la législation en matière de remplacement des animaux vivants. Elle évoque une ICE (Initiative citoyenne européenne) du 3 juin 2015 « stop vivisection » signée par environ 1,2 millions de citoyens mais aussi une autre, « Save cruelty free cosmetics ». Cette dernière a d’ailleurs été validée ce 25 janvier 2023 par la Commission européenne et demande :
- Que les interdictions européennes qui concernent les expérimentations animales dans le domaine cosmétique soit renforcées, protégées et correctement mises en œuvre.
- Que la législation de l’UE en matière de sécurité chimique soit fondée sur des sciences modernes et innovantes sans expérimentation animale.
- Une nouvelle proposition législative de la Commission autour d’actions concrètes pour mettre un terme à toutes les expérimentations animales en Europe
Aloïse Quesne achève son propos sur un chiffre. Selon le rapport de la Commission européenne du 5 février 2020, en une seule année, plus de 12 millions d’animaux ont été élevés et mis à mort sans même avoir été utilisés dans des procédures expérimentales. Il devient donc urgent, à son sens, d’accélérer la mise en œuvre de ces méthodes alternatives.
Quelle place pour l’expérimentation animale en éthologie ? (Michel Kreutzer)
Les animaux sont-ils uniquement l’objet d’expérimentation en biologie ou en médecine ? Michel Kreutzer, professeur émérite en éthologie, intervient pour rappeler qu’ils sont également utilisés dans le cadre d’expérimentations visant à comprendre leur comportement, que ce soit dans leur milieu naturel ou dans un environnement expérimental.
Michel Kreutzer choisit d’aborder son parcours d’éthologue afin de montrer comment un chercheur peut être confronté tout au long de sa carrière à des questionnements sur le choix de sa recherche mais aussi sur la portée morale de son expérience.
En 1970, lors de son DEA de neurophysiologie, il étudie les voies de la douleur dans un laboratoire de neuroscience. L’idée est d’implanter des électrodes sur des chats soit dans le cadre d’expériences chroniques (sur plusieurs semaines), soit dans le cadre d’expériences aigues (sur une même journée), avec à la clé une destinée fatale pour l’animal. Au bout de quelques mois, il a fait le choix d’arrêter, supportant difficilement la conduite des expériences. Pourtant, ses recherches avaient pour objectif de mettre au point des agents pharmacologiques pour soigner les humains.
Après avoir été recruté à l’université de Nanterre en 70, il a rejoint un laboratoire dont l’un des objectifs était d’étudier la communication acoustique des oiseaux chanteurs dans leur environnement naturel. L’idée était d’enregistrer les oiseaux dans la nature, modifier les sons en laboratoire et leur diffuser les sons ainsi transformés. L’intervention par les chercheurs était alors limitée à une fois par an sur le même oiseau. Cependant, pour lui, la question doit se poser de la légitimité du chercheur qui, au nom de la science, dérange des animaux dans leur espace naturel, en créant une situation de fait artificielle. Il se demande si, un jour, ce genre de travaux ne sera pas interdit.
Ses recherches ont ensuite porté sur les critères de préférence des femelles pour un type de chant. Pour ce faire, il existe la possibilité de capturer les femelles, les amener en laboratoire et leur mettre un implant d’œstradiol sous la peau avant de leur diffuser des chants pour déceler leur préférence. Pour sa part, il a eu recours à des canaris en laboratoire habitués à vivre en cage. La méthode était invasive et, pourtant, in fine l’objectif était de montrer que les oiseaux ont bien une vie hédonique, puisqu’ils ressentent du plaisir à l’écoute de certains chants. Pour prouver ce fait scientifique pourtant fondamental, Michel Kreutzer s’est retrouvé paradoxalement à mettre l’animal dans une position de difficulté.
Se pose donc la question, pour Michel Kreutzer, de l’éthique de la connaissance face à l’éthique de l’action. La première éthique renvoie à l’idée qu’il ne devrait pas y avoir de raisons de limiter ses connaissances sur les éléments et interactions de ce monde. La deuxième renvoie à la question de savoir jusqu’où peut-on se sentir autorisé d’expérimenter pour pouvoir obtenir ces connaissances. Selon lui, les deux ne sont pas synchrones. Tout au long d’une carrière, ces questions s’imposent au chercheur. La mise en place des comités d’éthique a permis d’alléger la charge morale sur les scientifiques, puisqu’ils n’ont plus à décider seuls. Cependant, on peut aussi se demander quelle connaissance ont les comités d’éthique quant aux questionnements et méthodes des chercheurs.
Pour achever son propos, Michel Kreutzer indique être favorable à une science éthologique qui puisse se poursuivre en discutant des questions qui paraissent les plus intéressantes et pertinentes sur le plan scientifique et en s’interrogeant sur le type d’actions que le chercheur est autorisé à entreprendre pour répondre à ces questions.
[1] Pour en savoir plus sur la réglementation, n’hésitez pas à consulter notre article dédié aux comités d’éthique avec en prime un podcast de Samuel Vidal, animateur du comité d’éthique à VetAgro Sup et responsable du bien-être au laboratoire Biovivo.
Expérimentation animale : le rôle des comités d’éthique et des structures de bien-être animal avec Samuel Vidal

Quelle est l’opinion des Français en matière d’expérimentation animale ?
D’après un sondage Ipsos du 14 décembre 2021, 62 % des Français sont sur le principe opposés à l’utilisation des animaux par la recherche scientifique. Toutefois 74% d’entre eux demeurent convaincus que le recours aux animaux est nécessaire lorsqu’il s’agit de la recherche médicale. Ce même sondage indique que 50% des Français n’ont pas confiance dans les scientifiques pour veiller le plus possible au bien-être des animaux et que 52% doutent de leur capacité à éviter le plus possible la douleur et la peur chez l’animal. En parallèle, d’après l’enquête, seul 1 Français sur 10 prétend connaître ce qu’est précisément un comité d’éthique en expérimentation animale et une structure de bien-être animal. Enfin, seuls 5% des Français affirment connaître la règle des 3R (remplacer, réduire, raffiner) pourtant obligatoirement applicable depuis 2013 en cas de recours à des animaux vivants à des fins expérimentales.
Si ces quelques statistiques témoignent de l’attachement indubitable des Français à la problématique du bien-être animal, il montre également une certaine méconnaissance de leur part en la matière dans le domaine de l’expérimentation animale.
Il est donc temps de faire le point sur le sujet !
Pour cela, nous avons interviewé Samuel Vidal, animateur du Comité d’éthique de VetAgro Sup, responsable du bien-être au laboratoire Biovivo er ancien président de l’AFSTAL. Un bon moyen de comprendre le rôle des comités d’éthique et des structures de bien-être animal qui s’assurent non seulement d’une utilisation éthique des animaux dans le domaine scientifique mais aussi de la prise en compte, autant que possible, de leur bien-être, tout en maintenant la pertinence des résultats expérimentaux.
L’interview a été conduite par Estelle Mollaret, résidente en bien-être animal à la Chaire bien-être animal !
Le podcast
Au programme :
- 0’50 : Qu’est-ce qu’un comité d’éthique ?
- 1’11 : Depuis quand existent les comités d’éthique ?
- 1’42 : Le recours aux comités d’éthique ainsi qu’au principe des 3R a été rendu obligatoire depuis la directive européenne de 2010
- 3’26 : Le comité d’éthique est-il le seul dispositif qui existe destiné à veiller à la protection des animaux de laboratoire ?
- 4’43 : Concernant le comité d’éthique de VetAgro Sup, pouvez-vous nous indiquer quels sont les types d’intervention du comité et qui peut le saisir ?
- 7’22 : Quel profil ont les membres du comité d’éthique ?
- 9’36 : Quelle force a le comité d’éthique s’il rend un avis négatif ?
- 10’33 : Comment arrivez-vous à un accord entre les membres du comité ?
- 12’08 : Le comité d’éthique de VetAgro Sup a rendu très peu d’avis défavorables car il s’inscrit dans une logique de co-construction des projets
- 13’30 : Vous faites parti de ce comité depuis 20 ans, avez-vous constaté des améliorations concrètes ?
- 15’41 : Les animaux utilisés à des fins scientifiques sont de plus en plus replacés dans des foyers. Le comité d’éthique a-t-il un rôle dans ce replacement ?
Pour ceux qui n’ont pas le temps d’écouter le podcast et préfèrent lire un article on vous en a tiré un résumé ci-dessous ! Vous y trouverez également quelques informations complémentaires !
Quels textes encadrent les comités d’éthique ?
Les premiers comités d’éthique ont vu le jour aux États-Unis et sont apparus en France dans les années 90. Suite à la directive européenne de 2010, ils ont été rendus obligatoires en France à partir de 2013 avec la promulgation d’un décret[1] et d’un arrêté d’application. Ces deux textes ont été complétés en 2014 par une Charte nationale sur l’éthique de l’expérimentation animale rédigée par le Comité national de réflexion éthique sur l’expérimentation animale. Cette Charte rappelle l’obligation de recourir à un comité d’éthique ainsi que la nécessité de respecter la sensibilité animale. Elle encourage même à s’efforcer « d’aller au-delà de la seule application de la règlementation sur la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques » dans la prise en compte de leurs capacités cognitives, émotionnelles et de leurs besoins physiologiques et comportementaux.
En 2013, l’arrêté d’application encadrant les comités d’éthique inscrit également dans la réglementation le principe des 3R : remplacer, réduire, raffiner. L’objectif est de remplacer au maximum l’utilisation des animaux à des fins scientifiques par des méthodes alternatives, de réduire le nombre d’individus utilisés et de raffiner en utilisant des techniques qui diminuent au maximum le stress, la souffrance et la contrainte subis par les animaux.
Le point sur le rôle des comités d’éthique et des structures de bien-être animal
Depuis 2013, toute activité de laboratoire ou d’enseignement impliquant des animaux doit donc avoir été validée au préalable par un comité d’éthique. Celui-ci a ainsi un rôle primordial car, sans son aval, il n’est pas possible de conduire les expérimentations, point que rappelle bien Samuel Vidal au cours de notre entretien. Il nous indique que, tous les projets à VetAgro Sup font l’objet d’une analyse et de recommandations de la part du comité d’éthique et que peu reçoivent des avis défavorables. Le rôle du comité dans l’amélioration des projets d’expérimentation est d’ailleurs central pour Samuel Vidal : « Quand un chercheur présente un projet au comité d’éthique, il ne repart jamais sans des conseils, des recommandations ou des demandes expresses de modifier son projet ». Il nous précise au passage que la relecture peut parfois conduire à un changement en profondeur du projet.
Une fois que le projet a été évalué et validé, une structure bien-être animal obligatoirement présente dans les laboratoires au même titre que le comité d’éthique[2] se charge « de suivre au jour le jour la mise en application de l’autorisation de projet ». A noter que dans d’autres pays européens, le comité d’éthique et la structure bien-être animal ne forment qu’une seule et même entité. Samuel Vidal nous indique que la France a fait le choix de séparer les deux.
Qui fait partie des comités d’éthique et comment ses membres prennent les décisions ?
Le décret de 2013 définit également les fonctions et niveaux de compétences qui doivent être représentés au sein des comités d’éthique avec la nécessité de toujours avoir en son sein un regard externe d’une personne « non spécialisée dans les questions relatives à l’utilisation des animaux à des fins scientifiques »[3].
Pour le comité d’éthique de VetAgro Sup, le choix a été fait de prendre les décisions par consensus, avec possibilité d’un vote en cas d’un désaccord profond entre ses membres.
Fonctionnement particulier du comité d’éthique de VetAgro Sup
Le comité d’éthique de VetAgro Sup existait avant l’obligation de 2013. Il a donc historiquement acquis des prérogatives plus larges allant au-delà des dispositions réglementaires. Ainsi, selon Samuel Vidal, le comité d’éthique travaille non seulement sur « l’expérimentation animale mais également [sur] tous les autres sujets qui concernent l’animal au sein de l’établissement ». Cette préoccupation pour le bien-être animal se porte y compris sur la vie des animaux sur le campus, beaucoup d’étudiants amenant leur chien avec eux ainsi que sur la qualité des soins dispensés dans les cliniques et hôpitaux de l’école.
Toute personne sur le site peut saisir le comité, qu’il s’agisse d’un chercheur, d’un vétérinaire, ou encore d’un étudiant qui pourrait se poser « une question sur la façon dont un animal a été pris en charge ou sur les modalités de vie d’un animal qu’il a vu sur le site ».
En 2021, le comité d’éthique de VetAgro Sup a étudié 67 demandes dont 20 demandes officielles d’évaluation de projets à des fins scientifiques, les autres étant des dossiers qui concernent la recherche clinique, et l’utilisation d’animaux pour l’enseignement.
Replacement en foyer des animaux utilisés à des fins scientifiques
La question du sort des animaux utilisés à des fins scientifiques ou expérimentales est une question qui préoccupe les citoyens. Samuel Vidal nous précise que chaque projet d’expérimentation présenté au comité d’éthique doit préciser le devenir des animaux utilisés. Des porteurs de projet peuvent ainsi s’engager à replacer les animaux en foyer une fois leurs expérimentations réalisées. Dans ce cas, le comité d’éthique est particulièrement vigilant et vérifie que cet engagement est bien mis en œuvre. Samuel Vidal nous précise que le replacement est assez courant et concerne aussi bien les chiens les chevaux que les lapins avec la possibilité d’avoir recours à des associations qui se chargent de leur trouver une famille d’accueil puis adoptante.
[1] Les articles R214-87 à 137 du Code rural sont concernés par ce décret
[2] La structure bien-être animal est rendue obligatoire par l’article R. 214-103 modifié par le décret de 2013
[3] La liste des membres est prévue à l’article R. 214-118 du Code rural.