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Les chiens catégorisés sont plus méchants que les autres, VRAI ou FAUX ?

FAUX

La loi catégorise certains chiens comme susceptibles d’être dangereux pour des raisons morphologiques. De fait, ces chiens étant plus imposants, ils sont susceptibles de provoquer des blessures plus graves en cas de morsure. Cependant, dans les faits, ils ne mordent pas plus, ni ne se montrent plus agressifs.

à retenir

On vous en dit plus avec cet article suivi d’une interview de Marylène Omont, vétérinaire et consultante en comportement animal, spécialiste de la dangerosité, qui nous donne son point de vue sur la question de la catégorisation.

En se basant sur des critères morphologiques, la loi établit que certains chiens sont susceptibles d’être dangereux

Selon la loi, certains chiens sont considérés comme pouvant être dangereux en raison de leur appartenance à des races spécifiques ou parce que leur morphologie répond à certains critères physiques précis. Cette dangerosité potentielle établie par la loi oblige les détenteurs et propriétaires à remplir certaines obligations etimpacte aussi la vie et a fortiori le bien-être du chien.

Quels chiens sont considérés comme susceptibles d’être dangereux aux yeux de la loi ?

La loi du 6 janvier 1999 a mis en place le principe de catégorisation. Elle établit ainsi que certains chiens, dits « catégorisés », doivent se voir appliquer un régime spécial en raison de leur potentielle dangerosité. Il existe ainsi deux catégories : la catégorie 1 pour les chiens dits « d’attaque » et la catégorie 2 pour les chiens dits « de garde ou de défense »[1]. A noter que les modalités de cette dangerosité ne sont jamais évoquées ni définiespar la loi. La notion de dangerosité englobe a priori, comme le souligne l’Anses[2], le risque de morsure mais aussi “les bousculades”, l’atteinte aux autres animaux, etc. 

📌 A savoir 

Un chien de race est un chien inscrit à un livre généalogique. Le livre généalogique dédié à l’espèce canine s’appelle le Livre des Origines Françaises (LOF).
Pour être inscrit au LOF, un chien doit 

  • posséder un certificat de naissance qui certifie l’exactitude de ses origines et atteste qu’il est issu de la reproduction entre deux chiens de race confirmés. Il s’agit de l’inscription « au titre de la descendance ».

OU

  • posséder un pedigree définitif. Pour cela, il doit, une fois sa taille adulte atteinte, réussir un examen de confirmation. Il est pour cela présenté à un juge qui atteste ou non de sa correspondance au standard la race. Il s’agit de l’inscription « à titre initial ».

Ainsi, tous les chiens qui ne sont pas de pure race (non inscrits à un livre généalogique) et qui présentent des caractéristiques proches d’une des races listées plus haut sont potentiellement catégorisés soit en catégorie 1, soit en catégorie 2. Pour être exclus de la catégorie 1, et être alors considérés comme non catégorisés, les chiens de type American Staffordshire terrier, Mastiff ou Tosa doivent obligatoirement subir une diagnose (examen morphologique) réalisée par un vétérinaire.

Pour réaliser la diagnose, le vétérinaire évalue les critères physiques de l’animal et les compare avec ceux listés en annexe de l’arrêté ministériel du 27 avril 1999, à savoir :

Si l’apparence physique du chien ne correspond pas à ces critères, l’animal n’est pas catégorisé et donc non concerné par la loi. 

Cette catégorisation peut également conduire à quelques paradoxes, notamment en ce qui concerne la race Staffordshire Bull Terrier (dite « staffie »). En effet, bien que cette race ne soit pas désignée comme catégorisée par la réglementation, en réalité, si un chien né de parents Staffordshire Bull Terrier est trop grand et massif, alors, il ne correspondra pas au standard de sa race : il ne pourra donc pas être confirmé et donc obtenir son pedigree définitif. De par ses caractéristiques morphologiques proches de celles des chiens catégorisés, il sera alors considéré comme un « croisement » et devra subir une diagnose pour déterminer s’il est catégorisé 1 ou non. 

La dangerosité, une question de morphologie ?

Selon la loi, ce sont donc les caractéristiques morphologiques du chien qui déterminent ou non son caractère potentiellement dangereux. De fait, le point commun à tous les chiens dits catégorisés est de présenter un poids de plus de 18kg, une tête large et massive et des mâchoires puissantes

Or, il a été démontré que la force de la morsure augmentait de manière significative avec le poids du chien[3]. Il n’est donc pas surprenant de constater que les chiens lourds soient responsables des blessures les plus graves[4]. Cela est d’autant plus vrai si le crâne de l’animal est massif[5] avec un museau court (ces chiens sont dits brachycéphales)Une corrélation très importante a en effet été mise en évidence entre les muscles masticateurs et la forme de la mandibule : les chiens ayant un crâne massif et un museau court sont ceux qui présentent les muscles masticateurs les plus puissants et les plus volumineux[6].

Le saviez-vous ?

En comparaison, les chiens nains ont de petits muscles masticateurs et génèrent donc une force de morsure inférieure à celle des gros chiens. Mais rapportés à leur taille, les muscles masticateurs du chihuahua sont aussi volumineux et puissants que ceux des Rottweiler par exemple !

D’autres études[7] ont par ailleurs mis en évidence que la race du chien permettait de prédire de manière significative la sévérité et le diamètre de la morsure : les pitbulls seraient ainsi responsables de blessures plus larges, profondes et sévères que la moyenne.

En résumé, les études tendent à montrer que la force produite par les mâchoires des chiens est d’autant plus importante et les lésions d’autant plus graves que le chien et sa tête sont gros. C’est sur ces critères morphologiques que semblent reposer la catégorisation des chiens. Il faut toutefois noter que de nombreux chiens avec une tête massive ne sont pourtant pas catégorisés (Dogue argentin, Bouledogue, Boxer, etc.). 

Quel impact de la loi sur la vie et le bien-être du chien catégorisé ?

Si tout détenteur ou propriétaire de chien catégorisé doit s’astreindre à des obligations supposées prévenir la dangerosité potentielle de son chien[8], la loi fait également reposer de nombreuses contraintes sur le chien catégorisé, susceptibles d’impacter sa vie ou son bien-être[9]

  • il doit être majeur
  • non astreint à une tutelle (sauf autorisation du juge des tutelles),
  • ne pas avoir de casier judiciaire
  • ne pas s’être vu retirer le droit de possession ou de garde d’un chien jugé dangereux,
  • soumettre son chien, entre l’âge de 8 et 12 mois, à une évaluation comportementale réalisée par un vétérinaire habilité pour déterminer son niveau de dangerosité, 
  • détenir un permis de détention (qui est propre à chaque chien catégorisé détenu), délivré par la mairie de sa commune et qui doit être présenté à la mairie de son nouveau domicile en cas de déménagement. 

Pour obtenir le permis de détention :

  • son chien doit être identifié, vacciné contre la rage et stérilisé s’il appartient à la catégorie 1,
  • le détenteur doit souscrire à une assurance responsabilité civile spécifique,
  • il doit être titulaire d’une attestation d’aptitude spécifique sur l’éducation et le comportement canins, ainsi que sur la prévention des accidents.

Tout détenteur d’un chien catégorisé sans autorisation s’expose à une amende de 7 500 € et à une peine d’emprisonnement maximale de 6 mois. Des peines complémentaires sont également possibles allant jusqu’au retrait du chien mais aussi l’interdiction de détenir un chien de catégorie pendant 5 ans (article L215-1 du Code rural).

Le saviez-vous ?

Depuis la loi du 6 janvier 1999, il est interdit d’acquérir, de céder, d’importer ou d’introduire un chien de catégorie 1 en France (article L211-15 du Code rural). Seuls les fourrières ou refuges peuvent « acquérir » un chien de catégorie 1 (par abandon ou cession). Une personne qui adopte un chien de catégorie 1 dans un refuge n’en devient ainsi jamais le détenteur officiel (le refuge reste le détenteur officiel durant toute la vie de l’animal). Les chiens de catégorie 1 doivent par ailleurs obligatoirement être stérilisés. En cas de manquement à ces obligations, le détenteur s’expose à 6 mois d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende (article L215-2 du Code rural).

Avec ces exigences, ce type de chiens devrait théoriquement tendre vers une disparition. Dans les faits, cette tendance n’est pas constatée, du fait des difficultés de contrôle.  

Ainsi, tout chien catégorisé doit être muselé et tenu en laisse par une personne majeure sur la voie publique et dans les parties communes des immeubles. De plus, les lieux publics, les locaux ouverts au public, les transports en commun sont totalement interdits aux chiens de catégorie 1, même muselés et tenus en laisse, alors qu’ils peuvent être autorisés pour les chiens de catégories 2. De cette manière, étant soumis à de fortes contraintes, les chiens de catégorie 1 et 2 peuvent voir leurs besoins (de dépense, de pistage des odeurs, etc.) moins satisfaits. Cela conduit potentiellement à une frustration importante et un niveau de bien-être amenuisé.

Un chien catégorisé « qui se trouve dans un lieu où sa présence est interdite […] ou qui circule sans être muselé et tenu en laisse […] ou dont le propriétaire ou le détenteur n’est pas titulaire de l’attestation d’aptitude » est « réputé présenter un danger grave et immédiat ». Pour cette raison, il peut être euthanasié sans délai après avis d’un vétérinaire. En l’absence d’un avis vétérinaire, l’avis est « réputé favorable » et l’animal peut être euthanasié à la demande de l’administration[10]

Le saviez-vous ?

Si vous être locataire, votre propriétaire ne peut pas vous interdire de détenir un chien (ou un chat !) sauf s’il s’agit d’un chien de catégorie 1 dès lors que la clause d’interdiction est inscrite dans le bail.

De plus, même sans avoir jamais mordu, un chien catégorisé doit être obligatoirement soumis à une évaluation comportementale pour établir son niveau de dangerosité. Cette évaluation ne peut être réalisée que par un vétérinaire habilité (inscrit auprès de son Conseil Régional de l’Ordre des vétérinaires)[11]. Le vétérinaire, en se basant sur les réactions comportementales du chien dans différentes situations, en consultation mais aussi potentiellement dans la rue, va classer le chien selon quatre niveaux de dangerosité (1 correspondant au niveau de dangerosité le plus faible et 4 au plus élevé). Si le chien n’est pas classé 1, il est obligé de repasser ce bilan régulièrement[12], ce qui lui impose des visites régulières chez le vétérinaire. Ces visites sont potentiellement stressantes pour le chien puisqu’il est placé à dessein dans des situations inconfortables pour tester sa dangerosité. Le résultat de cette évaluation est obligatoirement inscrit dans le fichier national d’identification des chiens (ICAD)

En raison de ces différentes contraintes pour les propriétaires et les chiens, la catégorisation est l’un des motifsinvoqués au moment de l’abandon des animaux au sein des refuges[13], et l’adoption des chiens catégorisés est également plus faible au sein de ces structures, avec un risque plus grand d’euthanasie en cas de manque de place.

En pratique, les chiens catégorisés sont-ils réellement plus agressifs et dangereux ?

La loi catégorise certaines races et profils raciaux comme potentiellement dangereux sur la base de critères morphologiques. De fait, en raison de leurs caractéristiques physiques, les pitbulls et races associées peuvent être à l’origine de blessures plus graves en cas de morsure. Pour autant, a-t-il été réellement démontré que les chiens de catégorie présentaient une agressivité et une propension à mordre plus élevées ? 

Quelles races mordent en France ?

En France, le nombre de morsures serait de l’ordre de 500 000 par an (donnée de 2004 issu du Centre de documentation et d’information de l’assurance, CDIA), un chiffre certainement sous-évalué, de nombreuses morsures n’étant vraisemblablement pas déclarées. Alors, existe-t-il un lien entre race et augmentation du risque de morsure ? 

La propension à mordre peut être le fruit d’une sélection de lignées de chiens mordeurs mais ne peut pas être reliée à une race en particulier

L’Académie Vétérinaire de France en 2007[14] souligne le fait qu’« un chien de n’importe quelle race peut présenter une tendance spontanée et anormale à mordre ». Cependant, elle précise tout de même que l’agressivité du chien peut être effectivement génétique avec, dans de rares cas, la sélection de lignées de chiens mordeurs, et l’obtention de ce qui pourrait s’apparenter à des hypertypes comportementaux. On peut notamment penser au cas de certaines races de travail, comme les bergers belges malinois, pour lesquelles des chiens de plus en plus réactifs, impulsifs avec une motivation à mordre plus importante ont pu être sélectionnés[15]. Mais ce phénomène ne concerne bien entendu pas tous les individus de la race, seulement ceux sélectionnés de manière excessive. Cette hypersélection peut donc toucher toutes les races et pas seulement celles relevant de catégorie 1 et 2 (pour en savoir plus sur l’hypertype vous pouvez consulter notre interview de Marie Abitbol, vétérinaire et généticienne). 

En réalité, les études montrent qu’il est difficile d’établir un lien entre appartenance à une race ou un profil racial et augmentation du risque de morsures.  

Une étude de l’association Zoopsy[16] réalisée entre 2009 et 2010 dans huit grands hôpitaux parisiens a montré que les trois races les plus représentées dans les morsures ayant entrainé une consultation étaient le Berger allemand (10% des morsures), le Labrador (9% des morsures) et le Jack Russel (6% des morsures). Il s’agissait là des trois races les plus présentes en France à cette date.

Le saviez-vous ?

Tout fait de morsure doit obligatoirement être déclaré à la mairie du lieu où l’événement s’est produit (par son détenteur ou tout professionnel ayant eu connaissance de cette morsure). Cela entraîne obligatoirement l’ouverture d’une procédure « chien mordeur » (article L211-14-2 du Code rural), que le chien soit catégorisé ou non.

Cette procédure implique trois visites « chien mordeur » chez un vétérinaire à intervalles réguliers pour vérifier qu’il n’est pas porteur de la rage. Elle implique également l’obligation d’effectuer une évaluation comportementale par un vétérinaire dont le résultat est communiqué au maire de la commune de résidence du propriétaire du chien et reporté dans le fichier national d’identification (articles L211-14-2 et D211-3-2 du Code rural).

Si à l’issue de l’évaluation comportementale, le chien est classé niveau 4, le vétérinaire conseille de placer l’animal dans un lieu où il ne peut pas causer d’accident ou de faire procéder à son euthanasie (article D211-3-2 du Code rural).

Les races et profils raciaux de chiens catégorisés ne présentent pas de dangerosité plus marquée

Les résultats de 2015[17] des évaluations comportementales obligatoires des chiens de catégorie 1 et 2 (donc évaluation requise par la loi sans survenance de morsure) montrent que, sur 3011 chiens évalués, 84% des chiens catégorisés ont été estimés de niveau 1 (pas de risque particulier en dehors de ceux inhérents à l’espèce canine), 15% de niveau 2, 1% des chiens de niveau 3 et seulement trois chiens de niveau 4 (dangerosité maximale). Par ailleurs, même s’il existe un manque de données (peu de chiens enregistrés dans la catégorie 1), les chiens de catégorie 1, pourtant désignés comme « chien d’attaque » par la loi, n’apparaissent pas plus dangereux que ceux de catégorie 2. A noter que dans la mesure où l’évaluation comportementale n’est pas obligatoire pour les chiens non catégorisés non mordeurs, ces pourcentages ne peuvent être comparés avec ceux de la population générale de chiens. 

En outre, on constate que, parmi les chiens ayant mordu en 2015, 94% étaient non catégorisés (environ 9% étaient des Bergers allemands, 4,5% des Bergers belges malinois, 4,5% des Jacks Russel, etc.)[18]. Les chiens catégorisés ayant mordu n’ont quant à eux pas été classés plus dangereux que les chiens non catégorisés. 

Enfin, dans le cadre d’un rapport réalisé en 2020[19], l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a réalisé une enquête auprès des vétérinaires habilités à effectuer les évaluations comportementales. Il en est ressorti que 90% d’entre eux estimaient que les chiens catégorisés ne représentaient pas plus de risque de dangerosité que les autres chiens

Selon l’Anses, la race n’est pas pertinente pour expliquer seule la probabilité d’une morsure

En 2020, l’Anses a publié un rapport d’expertise[20] sur l’évaluation du risque de morsure de chien en France. Elle souligne qu’il est difficile d’établir une causalité claire entre la race de chien et l’augmentation du risque potentiel de morsure et qu’a fortiorila race ne peut pas être le seul facteur de risque à prendre en compte pour expliquer la probabilité d’une morsure. Ce rapport souligne également que “la revue de la littérature et les analyses des données fournies par les évaluations comportementales réalisées en France ne permettent pas d’identifier les chiens appartenant aux deux catégories, telles que définies par l’arrêté du 27 avril 1999, comme étant plus agressifs que les individus n’appartenant pas à ces catégories”. 

Au vu des chiffres, il apparaît que les races qui mordent le plus sont celles qui sont les plus présentes en Franceà un instant donné (ce qui semble logique d’un point de vue statistique). D’autres biais identifiés par l’Anses participent à la difficulté de lier race et risques de morsures : erreurs de catégorisation par les vétérinaires (des chiens catégorisés qui ne devraient pas l’être, des chiens catégorisés 2 alors qu’ils devraient être en 1 ou inversement), absence d’enregistrement des évaluations dans l’ICAD, défaut de mise en règle de certains propriétaires qui ne déclarent pas leur chien comme catégorisé (particulièrement vrai pour la catégorie 1) et donc ne suivent pas le processus administratif, absence de déclaration des faits de morsure, que le chien soit catégorisé ou non, etc. 

La dangerosité... un problème d'éducation ?

Plus que la génétique, l’Académie Vétérinaire de France souligne que l’agressivité du chien mordeur est en général acquise au cours du développement de l’animal et est le résultat d’un échec du processus de sociabilisationdu chiot[21]

Par ailleurs, dans son rapport de 2020, l’Anses précise qu’en dehors de la race, il existe de nombreux autres facteurs qui peuvent augmenter le risque de morsure. Parmi eux, l’âge des victimes mais aussi le niveau général de bien-être du chien (maladies, stress, etc.), l’état de la relation humain-chien, ainsi que le type d’éducation utilisé ! 

De cette manière, un chien dont les besoins ne sont pas comblés et dont les signaux de communication ne sont pas respectés présente des risques de morsure accrus (pour en savoir plus sur les signaux de communication du chien, n’hésitez pas à consulter notre fiche espèce chien). 

Le saviez-vous ?

Les enfants sont les premières victimes de morsures létales par les chiens et doivent être particulièrement sensibilisés car ils ont peu conscience des signaux de communication du chien.

L’éducation dite “coercitive” (basée sur la punition ainsi que des stimuli dits aversifs et non sur la récompense des comportements) augmente de 2.9 fois les risques de morsure envers un membre de la famille et de 2,2 foisenvers une personne non familière à l’extérieur de la maison[22]. Nous avons en outre rappelé dans notre article sur les colliers électriques utilisés à des fins éducatives, que l’emploi de tels dispositifs pouvait conduire le chien à témoigner de l’agressivité, soit par assimilation de la décharge à toute personne présente, soit par une morsure dite “redirigée”. 

Enfin, quelle que soit l’éducation utilisée, l’entraînement de certains chiens au mordant peut conduire, en cas de déclenchement de morsures, à des blessures beaucoup plus graves dans la mesure où ces chiens mordent avec plus d’énergie[23].

Ainsi, plus que la race, la bonne santé mentale et physique du chien, la mise en place d’une éducation positive, avec l’instauration d’une relation humain-chien basée sur la confiance semblent autant d’éléments essentiels pour prévenir le risque de morsure. En ce sens, on peut souligner que le port de la muselière obligatoire (avec selon le type de muselière utilisé une difficulté de communiquer ou de sentir les odeurs) ainsi que l’interdiction d’être sans laisse sont susceptibles d’impacter le bien-être physique et mental du chien catégorisé, avec une frustration parfois importante et un impact potentiel sur son niveau d’agressivité. Enfin, il apparaît essentiel de sensibiliser et d’informer le public et notamment les enfants sur les signaux de communication et de stress du chien afin d’éviter que le chien n’en vienne à mordre pour se faire comprendre

Le saviez-vous ?

Il existe plusieurs types de muselières pour le chien ! Certaines lui ferment la bouche, l’empêchant d’haleter (comportement indispensable en cas de chaleur pour la régulation de sa température), de boire, de communiquer convenablement. D’autres muselières, bien plus confortables, lui permettent d’ouvrir la bouche : c’est le cas des muselières en panier. 

L’Anses conclut que, finalement, le risque de morsure doit être “évalué pour chaque chien en prenant en compte l’ensemble des facteurs de risque et non uniquement sa race ou son type racial”. Pour elle, la “catégorisation de certaines races et types raciaux ne permet pas d’assurer, par la mise en œuvre de mesures spécifiques, à ces races une diminution des risques de morsure.” 

📌 A savoir 

Si votre chien témoigne de l’agressivité il est nécessaire de vous rendre chez un vétérinaire comportementaliste qui recourt à l’éducation positive (basée sur des récompenses) et qui évaluera si votre chien est en bonne santé, et saura vous conseiller au niveau comportemental. Vous pouvez également vous rendre chez un éducateur canin qui recourt à l’éducation positive.

Conclusion

Sur critères morphologiques, la loi catégorise certains chiens comme potentiellement dangereux, avec de nombreuses restrictions à leur détention, mesures pouvant aller jusqu’à impacter leur bien-être. Du fait de leur morphologie, en cas de morsure, ces chiens peuvent occasionner des blessures potentiellement plus graves, mais dans les faits, les races de chiens et profils raciaux relevant des deux catégories ne présentent pas d’agressivité plus marquée que les autres races de chiens. En réalité, bien d’autres facteurs entrent en compte pour expliquer une morsure de chien, dont l’état de bien-être du chien ainsi que l’éducation utilisée. Cela conduit à douter de l’efficacité des lois relatives à la catégorisation des chiens, d’autant plus que ces lois soulèvent des questions éthiques pour les chiens qui y sont soumis (euthanasie plus facile, moins de liberté de mouvement, de possibilité d’exprimer leurs comportements naturels, etc.)[24].

Une proposition de loi[25] déposée par Loïc Dombreval (pour visionner notre interview de lui c’est ici) en 2021 souhaitait mettre ainsi fin à la catégorisation des chiens sur critères morphotypaux et raciaux, en lui substituant une catégorisation comportementale. L’idée était de soumettre chaque chien, quel que soit son type racial, à une évaluation comportementale entre 1 et 2 ans, avec in fine l’application de mesures restrictives en fonction de la dangerosité établie dudit chien. Si cette loi n’a jamais été discutée, elle pose les jalons d’une remise en question du régime de catégorisation actuel mais surtout de la dangerosité prétendument intrinsèque des races et profils raciaux des chiens relevant des catégories 1 et 2. 

Pour résumer

Article relu par Marylène Omont, vétérinaire et consultante en comportement animal spécialiste de la dangerosité.

Interview de Marylène Omont, vétérinaire et consultante en comportement animal spécialiste de la dangerosité

Les chiens catégorisés que vous voyez ont-ils souvent des problèmes comportementaux ?

Dans la très grande majorité des cas, je dirais 90%, les chiens que je reçois en évaluation comportementale sont classés en niveau 1 sur 4 soit le niveau le plus faible de dangerosité. La plupart du temps, ce sont des chiens de famille qui ne présentent pas plus de risques qu’un autre chien. Quelques-uns sont des chiens de travail, de gardiennage notamment, c’est moins fréquent mais cela peut arriver. 

Comment se passe l’évaluation comportementale ?

L’évaluation comportementale a pour but d’évaluer la dangerosité de l’animal dans son contexte de vie. Elle débute par un grand questionnaire dont le but est de cerner le mode de vie de l’animal : présence ou non d’un jardin clôturé, passage par des lieux communs dans un immeuble, fréquence des promenades, lieu de repos, de nourrissage. 

On observe ensuite le comportement du chien pendant la consultation à la clinique : est-il plutôt amical, avenant ou peureux avec les personnes présentes ? Est-il tolérant à la caresse ? Est-il facile de nouer un lien avec lui, ce qui permet par exemple d’évaluer s’il accepterait de se faire approcher dans la rue s’il était perdu ?  

On sort ensuite en extérieur pour vérifier le comportement de l’animal lors des sorties : le chien présente-t-il des peurs particulières ? Le maître a-t-il un bon contrôle sur l‘animal (est-ce qu’il ne se fait pas embarquer) ? Est-ce que le chien est réactif envers les humains, les autres chiens, les vélos, les voitures, etc. ?

On va faire quelques exercices d’obéissance pour voir si le chien répond facilement quand on l’appelle, est-ce qu’il s’assoit facilement. Cela teste le contrôle du propriétaire sur son chien en cas de problème. 

Si le chien n’a, jusque là, manifesté aucun signe d’agressivité particulier, on peut réaliser quelques tests supplémentaires : le caresser sans le prévenir ou faire un peu de bruit en faisant tomber un objet à terre pour voir comment il réagit. Dans tous les cas, le but n’est pas de coincer le chien et nous ne sommes pas censés faire des choses que l’on ne ferait pas dans la vie quotidienne. Je ne suis pas supposée prendre le chien et le plaquer par terre pour voir sa réaction car ce n’est pas un geste que je dois faire dans la vraie vie.

Enfin on réalise l’examen de l’animal. Cela permet de vérifier qu’il n’y a pas de problèmes médicaux qui pourraient engendrer ou aggraver des problèmes d’agressivité. Par exemple, un chien qui a mal au dos peut avoir des réactions de défense quand on lui met la laisse. Cet examen est également l’occasion de vérifier la tolérance de l’animal à la contrainte car un examen clinique l’est un peu : on ouvre la bouche, on palpe le ventre, on appuie sur le dos, etc. On observe les réactions de l’animal : si on observe des réactions d’agressivité, cela peut permettre de donner des préconisations pour la vie à la maison qui correspondent à son environnement de vie (en cas de présence d’enfant par exemple). 

Que conseillez-vous à un propriétaire avec un chien catégorisé pour qu’il puisse tout de même assurer le bien-être de son chien ?

On peut apprendre à son chien à mettre la muselière, qui est obligatoire dès lors qu’on est en extérieur, sous forme de jeu (apprentissage coopératif de la muselière). Dès le plus jeune âge, le chien associe la muselière à la friandise qui fait office de récompense, aux sorties, et l’accepte plus volontiers. Les muselières paniers sont à privilégier pour permettre au chien des respirer correctement, prendre une friandise, boire un petit peu. Je conseille également aux propriétaires d’utiliser des laisses longues voire des longes pour permettre aux chiens d’être un peu plus libres et se dégourdir les pattes. 

Un chien catégorisé est-il plus dangereux ? Les blessures sont-elles plus graves ?

C’est un chien comme tous les autres. S’il évolue dans un contexte de vie favorable, il ne présentera pas plus de risques. Ce sont en revanche des chiens à fortes mâchoires : un rottweiler de 45kg peut provoquer plus de dégâts qu’un yorkshire. Ce sont des chiens sur lesquels il ne faut pas faire de dressage au mordant. Si on les éduque comme des chiens lambdas, qu’on respecte leurs besoins, que l’on n’est pas agressifs avec eux, que l’on n’utilise pas de méthodes coercitives … ce sont des chiens (à grosses mâchoires !).  

Jugez-vous la catégorisation des chiens pertinentes ?

La loi actuelle est très stigmatisante pour ces chiens-là. Les gens qui souhaitent faire du mordant finissent par prendre d’autres types de molosses qui ne sont pas catégorisés (ex Dogue argentin). Cela ne fait donc que déplacer le problème. 

Je pense que tout propriétaire devrait faire une évaluation comportementale à son chien. Cela permettrait de détecter des situations à risques dans le mode de vie avec le chien. Car au final, parmi les chiens mordeurs que je rencontre, il y a beaucoup plus de chiens non catégorisés. Très souvent cela vient du fait que les règles de vie ne sont pas bien respectées et d’une mauvaise éducation. Cela pourrait être pédagogique pour chaque propriétaire de réaliser cette évaluation.

[1] article L211-12 du Code rural

[2] Rapport d’expertise de l’Anses, Octobre 2020. Risque de morsure de chien. Disponible ici

[3] Ellis J.L., Thomason J.J., Kebreab E., France J., 2008. Calibration of estimated biting forces in domestic canids: comparison of post-mortem and in vivo measurements. Journal of Anatomy 212(6):769-80. https://doi.org/10.1111/j.1469-7580.2008.00911.x

[4] Etude de l’association de vétérinaires Zoopsy, 2011. Analyse des morsures de chiens : éléments médicaux et comportementaux. Disponible ici.

[5] Ellis et al., 2008.

[6] Ellis et al., 2008.

Ellis J.L., Thomason J., Kebreab E., Zubair K., France J., 2009. Cranial dimensions and forces of biting in the domestic dog. Journal of Anatomy 214(3). https://doi.org/10.1111/j.1469-7580.2008.01042.x

[7] Lee C.J., Tiourin E., Schuljak S., Phan J., Heyming T.W., Schomberg J., Wallace E., Guner Y.S., Vyas R.M., 2021. Surgical Treatment of Pediatric Dog-bite Wounds: A 5-year Retrospective Review. Western Journal of Emergency Medicine 22(6). https://doi.org/10.5811/westjem.2021.9.52235

Brice J., Lindvall E., Hoekzema N., Husak L., 2018. Dogs and Orthopaedic Injuries: Is There a Correlation With Breed ? Journal of Orthopaedic Trauma 32(9). https://doi.org/10.1097/bot.0000000000001235

[8] article L211-12 à L211-14 du Code rural

[9] article L211-16 du Code rural

[10] article L211-11 du Code rural

[11] article D211-3-1 du Code rural

[12] article D211-3-3 du Code rural

[13] Rapport du Centre National de Référence pour le bien-être animal, 2022. Premier état des lieux sur l’abandon des chiens et des chats en France. Disponible ici.

[14] Rapport de l’Académie Vétérinaire de France, 2007. Prévention des morsures de chienDisponible ici

[15] Brassard C., Merlin M., Guintard C., Monchâtre-Leroy E., Barrat J., Bausmayer N., Bausmayer S., Bausmayer A., Beyer M., Varlet A., et al., 2020. Bite force and its relationship to jaw shape in domestic dogs. Journal of Experimental Biology. https://doi.org/10.1242/jeb.224352

[16] Etude de l’association de vétérinaires Zoopsy, 2011. Analyse des morsures de chiens : éléments médicaux et comportementaux. Disponible ici.

[17] Depuis 2011, le Code rural prévoit une obligation de publication par le ministre chargé de l’agriculture d’un rapport sur les résultats des évaluations comportementales des chiens dangereux, incluant les chiens de catégorie (article D. 211-3-4 du Code rural). Un premier rapport a été publié en 2014, mis à jour en 2015, avec l’appui scientifique et technique de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Les résultats de 2014 sont disponibles ici. Nous nous sommes, quant à nous, appuyés sur ceux de 2015 qui n’ont pas été publiés en ligne.

[18] On pourrait se dire que la faible représentativité des des chiens catégorisés parmi les chiens mordeurs serait en réalité due à l’obligation du port de la muselière dans l’espace public. Cependant, outre le fait que cette obligation n’est pas toujours respectée, selon certaines données, les faits de morsure auraient plutôt lieu au sein du foyer élargi (donc pas spécialement dans des moments de port de muselière). Ainsi selon l’étude menée par l’association Zoopsy, dans 8 cas sur 10, le chien qui mord est un chien connu (chien de la famille 36 %, d’une connaissance 30 %, de la famille élargie 12 %).

[19] Rapport d’expertise de l’Anses, Octobre 2020. Risque de morsure de chien. Disponible ici.

[20] Rapport d’expertise de l’Anses, 2020.

[21] Rapport de l’Académie Vétérinaire de France, 2007.

[22] Chiffres rappelés par l’Anses dans son rapport de 2020

[23] Brassard et al., 2020.

[24] Dans son rapport de 2020, l’Anses affirme d’ailleurs que “l’’existence des lois relatives à la catégorisation des chiens selon leur appartenance raciale ou leur morphotype […] soulève des questions éthiques quant aux contraintes qui sont imposées à ces animaux (euthanasie, castration systématique, disparition d’un pool génétique, discrimination morphologique, etc.) étant donné le fait que ces critères de race et morphotype ne permettent pas de définir un risque de morsure plus important”.

[25] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3916_proposition-loi

à retenir

CHIFFRE CLÉ

99%

des chiens de catégorie sont estimés sans risque de dangerosité ou présentant une dangerosité faible 

Si on les éduque comme des chiens lambdas, qu’on respecte leurs besoins, que l’on n’est pas agressifs avec eux, que l’on n’utilise pas de méthodes coercitives … ce sont des chiens (à grosses mâchoires !).  

MARYLENE OMONT