Récemment, nous répondions à la question de savoir si tous les animaux peuvent être des animaux de compagnie ou pas (voir notre idée reçue à ce sujet). Nous évoquions dans cet article les différents statuts juridiques des animaux, qu’ils soient domestiques ou sauvages et les obligations liées pour les détenteurs.
Aujourd’hui, nous interrogeons Eric Baratay, professeur à l’Université de Lyon 3 et spécialiste de l’histoire des animaux. Il nous explique les différents processus de domestication en Europe et dans le monde, au cours de l’Histoire. Il évoque ainsi les fluctuations dans l’intensité des relations entre les humains et les animaux, dans le temps et dans l’espace. Il nous permet également d’y voir plus clair en redéfinissant les notions de domestication et d’apprivoisement, et nous rappelle qu’il s’agit toujours là d’une relation réciproque… à laquelle certains animaux ne se sont jamais prêtés.
Professeur à l’université de Lyon - Histoire des animaux et des végétaux
à retenir
- La domestication d'une espace animale est un processus long et fluctuant, et qui échoue parfois.
- L'animal de compagnie peut être un animal domestiqué ou sauvage.
- L'intensité de la relation varie selon les époques, les lieux et les individus (humains ou animaux).
- Les processus de domestication varient en fonction des exigences humaines et des adaptations animales.
Présentation
Pouvez-vous vous présenter et présenter vos recherches ?
Je suis Professeur d’histoire contemporaine à l’Université Lyon 3. J’ai d’abord travaillé sur ce que j’appelle « l’histoire humaine des animaux », c’est-à-dire comment les Hommes pensent et traitent les animaux dans l’Histoire. Puis, depuis un peu plus de dix ans, je travaille désormais sur « l’histoire animale des animaux ». Je m’intéresse ainsi à la façon dont les animaux vivent l’Histoire en montrant que l’on peut bâtir une véritable histoire animale par espèce.
Définition de la domestication
Qu’est-ce que la domestication d’après vous ?
C’est une question ardue en réalité et plus nous y réfléchissons, plus nous réalisons qu’elle est complexe.
Il s’agit d’un phénomène de longue durée qui permet la maîtrise d’une population animale, maîtrise sur son vécu, son alimentation, sa reproduction, mais avec des degrés extrêmement variables. De fait, pour beaucoup d’espèces que l’on peut considérer comme domestiquées, nous n’avons pas eu de maîtrise totale de la reproduction avant une période récente. C’est le cas, par exemple, pour les lapins de ferme dont la reproduction n’a été totalement maîtrisée qu’à partir du XVIème /XVIIIème siècles. C’est également le cas pour les cochons : pendant très longtemps, nous avons laissé les cochons dans les forêts se reproduire avec des sangliers, avec l’idée qu’ils allaient de cette manière reprendre de la force sauvage. On voit bien ici que l’on ne maîtrisait pas totalement la reproduction. On considère de fait que le degré de domestication le plus aboutit correspond ainsi à la maîtrise totale de la reproduction. Assez étonnamment par exemple, cela ne concerne pas le chat domestique actuel car nous ne maîtrisons pas une partie de sa reproduction puisque les chats errants, les chats de ferme se reproduisent encore comme ils le souhaitent.
Par ailleurs, il est important de noter que la domestication n’est pas un phénomène inéluctable : beaucoup de tentatives de domestication ont échoué. Pour celles qui ont réussi, on s’aperçoit maintenant grâce à la génétique qu’il a existé en réalité plusieurs foyers de domestication. C’est le cas du chat par exemple pour lequel il a existé un foyer au Moyen-Orient, il y a huit ou neuf millénaires, première domestication qui a réussi mais ne s’est pas beaucoup diffusée, puis un second en Égypte entre le quatrième et le deuxième millénaire avant J-C. C’est cette dernière domestication qui s’est ensuite répandue par le commerce maritime sur les autres continents et qui a donné le chat actuel.
En tout cas, il faut percevoir l’animal domestiqué comme un groupe à l’intérieur d’une espèce sauvage. Nous n’avons pas par exemple domestiqué tous les loups mais seulement quelques loups dont la descendance a fini par donner, à force de mutations, une nouvelle espèce qui est le chien.
Enfin, si la domestication échoue parfois et est fluctuante, il existe également le phénomène du retour à l’état sauvage, ce que l’on nomme le « marronnage ». Cela a concerné par exemple les chevaux qui ont été amenés et relâché par les Espagnols en Amérique Centrale, qui sont ainsi redevenus sauvages (mustangs) puis qui ont été re-capturés et re-domestiqués par les Indiens et les Cow-boys avec à chaque fois des changements de comportements.
La domestication est donc un processus historique complexe qui suppose une maîtrise de l’Homme sur un groupe animal au point d’aboutir à la création d’une nouvelle espèce animale, mais avec parfois des arrêts, des retours à l’état sauvage, etc.
On considère de fait que le degré de domestication le plus aboutit correspond à la maîtrise totale de la reproduction.
ERIC BARATAY
Domestication et apprivoisement
Quelle distinction entre domestication et apprivoisement ? L’animal subit-il la domestication ou peut-on dire qu’il est également acteur de ce processus ?
La notion d’apprivoisement est à appliquer à des individus. Nous avons sans doute dû commencer par l’apprivoisement pour établir la domestication. Cependant, là où l’apprivoisement est pensé sur des individus, la domestication est pensée sur un groupe, sur une population qui devient maîtrisée par l’Homme. La plupart du temps, les ancêtres sauvages sont restés en place, comme c’est le cas pour le loup. En tout cas, il semble probable que la domestication ait débuté par l’apprivoisement de quelques individus que nous avons fait se reproduire pour créer des communautés de domestication.
Nous avons longtemps cru que la domestication était une espèce d’imposition d’ordre sur l’animal, comme le pensait l’anthropologue Jean-Pierre Digard dans les années 90. Aujourd’hui, on réalise que le processus est bien plus complexe puisque de nombreuses tentatives de domestication n’ont pas fonctionné, alors que la domestication devrait fonctionner à chaque fois, si elle ne dépendait que du bon vouloir de l’Homme. En réalité, nous nous sommes aperçus que, pour qu’une domestication fonctionne, encore faut-il que les animaux l’acceptent. L’acceptation est nécessaire sinon il y a des résistances, des échecs et cette acceptation doit être sans cesse renouvelée.
Là où l’apprivoisement est pensé sur des individus, la domestication est pensée sur un groupe, sur une population qui devient maîtrisée par l’Homme.
ERIC BARATAY
L'animal de compagnie
Finalement où placer l’animal de compagnie dans ce paysage et comment le définir du point de vue de la sociologie ?
L’animal de compagnie est un animal qui vit avec l’humain à l’état individuel, non pas pour une fonction utilitaire de production (de viande, de lait) ou de travail mais pour tenir compagnie. Dans le fait de tenir compagnie, il existe cependant plusieurs degrés. Pour l’animal, il peut s’agir simplement d’être là sans qu’il existe beaucoup d’interactions entre le propriétaire et l’animal, ou il peut y avoir des interactions bien plus fortes, comme c’est le cas aujourd’hui avec le chien ou le chat : on joue, on lui parle, on le sollicite, etc.
Tous des animaux de compagnie ?
D’après vous, tout animal, domestique ou sauvage, peut-il théoriquement être un animal de compagnie ?
D’abord, l’animal de compagnie n’est pas forcément un animal domestique. Il peut s’agir d’un animal sauvage apprivoisé. A l’époque moderne, à partir des grandes découvertes, beaucoup d’animaux de compagnie étaient des animaux d’origine sauvage. Il suffit de penser aux oiseaux, aux perroquets, aux singes très prisés par l’aristocratie à l’époque. Il s’agissait là d’individus apprivoisés pour la plupart des cas. Par ailleurs, certains animaux parvenaient à s’adapter et d’autres non, au point de se laisser mourir. Tous les animaux sauvages capturés ne devenaient ainsi pas des animaux de compagnie, si on puit dire, « réussis ». Ils pouvaient en un sens résister et refuser le compagnonnage soit en s’enfuyant, soit en déprimant. Là aussi, une participation de l’animal et une forme de consentement et d’acceptation sont nécessaires.
De fait, y compris chez les animaux de compagnie qui sont domestiqués, comme le chien ou le chat, l’intensité du compagnonnage peut varier avec le temps et avec les individus. Selon les époques, le chien de compagnie ne s’est pas comporté de la même manière. De même pour le chat. Quand on consulte des textes du XIXème siècle sur les chats de compagnie, on réalise par exemple que le compagnonnage se résumait à la présence de l’animal dans la maison. De nos jours à l’inverse, beaucoup de propriétaires de chat ne se contentent plus de cela et souhaitent un chat solliciteur, joueur, prêt à marcher en laisse. Et les chats de fait s’adaptent. On voit aujourd’hui ces chats se transformer, à la fois par sélection et apprentissage, au point que se développent aujourd’hui ce que l’on pourrait nommer les « chats-chiens », qui se comportent à la manière d’un chien en développant de nouvelles problématiques comme l’anxiété de séparation constatées par les vétérinaires.
Donc même à l’intérieur des catégories d’animaux de compagnie domestiques, selon les époques, les lieux et les individus, humains ou animaux, l’intensité de la relation va beaucoup varier. On constate en tout cas depuis le XIXème siècle une certaine intensification de la relation : considéré au XIXème siècle comme un ami de la famille, le chat ou le chien tend aujourd’hui à être perçu comme l’enfant de la famille. A l’inverse également, nos chiens ou chats actuels sont beaucoup plus attentifs à nous aujourd’hui.
Même à l’intérieur des catégories d’animaux de compagnie domestiques, selon les époques, les lieux et les individus, humains ou animaux, l’intensité de la relation va beaucoup varier.
ERIC BARATAY
Et le chat, le cheval ?
Comment appréhender certains animaux à la croisée des catégories comme le chat ou le cheval ?
Le cheval est un cas particulier. On pourrait même dire que, sans jamais vivre au sein du foyer, le cheval a été un compagnon très tôt, élément que l’on retrouve dans les romans du Moyen-Âge : le cheval pour le guerrier est un véritable compagnon et est décrit comme partageant les peines de son maître. On pourrait presque dire que, dans l’Europe occidentale, le premier compagnon a été le cheval et non pas le chien, et encore moins le chat.
Concernant le chat, on voit bien également la fluctuation des situations. Dans la même espèce domestiquée, il existe des chats errants, des chats de ferme, des chats de banlieue résidentielle qui peuvent se promener d’une maison à l’autre mais aussi des chats qui sont de véritables compagnons, qui angoissent au départ de leur maître, ce qui n’était pas le cas du chat de gouttière du XIXème siècle qui faisait, à l’inverse, plutôt de l’anxiété de rapprochement à la vue d’un humain !
On constate donc une forte fluctuation des situations dans le temps mais aussi dans l’espace : en Afrique ou en Amérique du Sud, on retrouve des types de chiens qu’on ne connaît plus en France, qui sont errants et qui n’ont rien à voir avec nos chiens de compagnie.
A l’intérieur d’une espèce dite de compagnie, les conditions sont donc extrêmement variables en fonction du degré d’apprivoisement et de l’exigence humaine. C’est finalement une variation incessante d’exigences humaines et de réponses et adaptations animales.
Dans l’Europe occidentale, le premier compagnon a été le cheval et non pas le chien, et encore moins le chat.
ERIC BARATAY
La relation humain-animal
Finalement toutes ces catégories nous parlent de l’histoire de la relation humain-animal : qu’en pensez-vous ?
Oui tout à fait. La difficulté à définir un animal domestiqué ou un animal de compagnie est le produit même de la fluctuation des situations dans le temps et l’espace. Plus largement, on a affaire à l’histoire de la relation entre les humains et les animaux, qui est une relation extrêmement fluctuante. Il s’agit d’une relation espèces-dépendante, en fonction de celles que l’on a domestiquées ou non, mais aussi individus-dépendante, humains comme animaux.
à retenir
- La domestication d'une espace animale est un processus long et fluctuant, et qui échoue parfois.
- L'animal de compagnie peut être un animal domestiqué ou sauvage.
- L'intensité de la relation varie selon les époques, les lieux et les individus (humains ou animaux).
- Les processus de domestication varient en fonction des exigences humaines et des adaptations animales.
La domestication est un processus historique complexe qui suppose une maîtrise de l’Homme sur un groupe animal au point d’aboutir à la création d’une nouvelle espèce animale, mais avec parfois des arrêts, des retours à l’état sauvage, etc.
Eric Baratay