
Les parcs zoologiques accueillent de nombreuses espèces aux besoins nutritionnels très différents. Assurer leur bien-être et leur santé passe par une alimentation adaptée, élaborée avec précision. Mais comment définit-on les rations alimentaires des animaux en captivité ? Quels sont le défis que doivent relever les professionnels pour garantir une nutrition équilibrée ?
Pour cet article, nous avons interviewé Flore Viallard, nutritionniste zoologique, qui nous présente son métier et nous explique comment sont conçus les rations en tenant compte des besoins spécifiques de chaque espèce, des connaissances scientifiques et des contraintes logistiques des parcs.

Nutritionniste zoologique et doctorante en nutrition
et reproduction des félins
à retenir
- La filière équine française regroupe de nombreuses activités allant des activités de sport et loisir à la production de viande et de lait
- Du point de vue de la loi, tous les chevaux sont des animaux d'élevage
- Ce statut facilite l'acquisition de prairie pour faire pâturer les chevaux ou produire du fourrage
- Changer le statut juridique du cheval en animal de compagnie ne semble pas être la clé pour garantir son bien-être
Présentation
Pouvez-vous vous présenter et présenter le sujet de votre thèse ?

Je m’appelle Flore Viallard, je suis ingénieure agronome, diplômée de VetAgro Sup (campus de Clermont-Ferrand) depuis 2021. Après ma sortie de l’école, j’ai créé Nutrioo pour pratiquer le métier de nutritionniste zoologique auprès des structures animalières avec des espèces à enjeux de conservation (ex. girafe, requin, flamant rose, primates).
En parallèle, je suis également doctorante par validation des acquis de l’expérience sur la thématique de la nutrition et de la reproduction des félins, et je suis encadrée par Sébastien Lefebvre.
L’objectif de ma thèse est de comparer l’impact de la nutrition chez les félins domestiques nourris au BARF (Biologically Appropriate Raw Food, voir ci-dessous) à celui des félidés de parcs zoologiques (ex. panthères des neiges, panthères de l’Amour, tigres, lions, guépards) qui sont nourris de la même façon, pour mieux connaître les pratiques, analyser les rations et étudier le lien entre leur alimentation et leur reproduction.

Le saviez-vous ?
Le BARF (Biologically Appropriate Raw Food) est défini comme un régime alimentaire composé de produits d'origine animale crus, provenant soit d'animaux sauvages, soit d'animaux domestiques, et utilisé comme alimentation pour les animaux carnivores[1]. Le BARF est différent du Whole Prey ou « proie entière » qui est un autre type d’alimentation crue qui consiste à nourrir les animaux avec des proies entières mortes et que l’animal pourrait chasser en conditions naturelles.
Nutrition et bien-être animal
Selon vous, quel est le lien entre la nutrition animale et le bien-être animal ?

Concernant le bien-être animal en parc zoologique, on se base sur les publications de Mellor et al. En 2020, David J. Mellor a mis à jour le modèle des cinq domaines du bien-être animal[2], et le premier domaine est celui de la nutrition. La nutrition fait donc directement partie du bien-être animal. Chaque animal doit recevoir une ration de qualité correspondant à son régime alimentaire et qui tient compte de ses problèmes de santé et de son statut physiologique.
Alimentation des félins en captivité
Comment sont nourris les grands félins en captivité ? En quoi cette alimentation diffère-t-elle de leur alimentation en milieu naturel ?

Actuellement, pour la préparation des rations pour les félins en parcs zoologiques, on se base sur les recommandations nutritionnelles du chat domestique car il s’agit de la seule base de données disponible pour tous les félins.
On observe également le comportement alimentaire en milieu sauvage, que l’on tente de reproduire, ainsi que le type de proies consommées et les parties spécifiques que l’animal consomme. Cependant, on part du principe qu’en captivité, les félins vivent plus longtemps et en meilleure santé. Tout n’est donc pas forcément bon à imiter dans la nature, qui ne définit pas forcément la ration optimale pour leur santé à long terme. Dans la nature, l’alimentation dépend en partie du hasard, et ce que l’animal trouve à manger n’est pas toujours équilibré. On fait donc un mélange des recommandations nutritionnelles du chat domestique et du comportement alimentaire en milieu naturel pour proposer nos recommandations.
En parc zoologique, quand on nourrit en BARF ou Whole prey, il est également important de ne pas oublier l’intégration des fibres qui jouent un rôle dans la digestion. Il peut s’agir de fibres d’origine végétale ou animale. Le fait de distribuer des proies qui ont encore des plumes et de la peau permet d’apporter ces fibres. On observe une nette différence, notamment sur la santé digestive des guépards, qui vont beaucoup mieux quand des fibres sont intégrées à leur alimentation, car elles diminuent l’inflammation de leur système digestif. On améliore donc forcément le bien-être en parallèle.

Signes d'une mauvaise nutrition
Quels sont les signes permettant de détecter une mauvaise nutrition chez un animal en captivité ?

Pour les animaux en parcs zoologiques, le signe principal d’une mauvaise nutrition est l’obésité, notamment pour les primates et les herbivores. Il y a d’autres symptômes assez classiques, comme les fourbures chez les herbivores. Les fourbures sont des boiteries dues à un excès de glucides dans la ration de l’animal. Elles sont fortement visibles chez les équidés comme les zèbres, ou chez les élans, moins chez les ruminants. D’autres symptômes comme les diarrhées, la perte d’appétit, les abcès dentaires, l’arrêt ou une mauvaise rumination peuvent également apparaître si l’animal est mal-nourri.
Une mauvaise alimentation peut aussi amener des changements ou des problèmes de comportement. Par exemple, les girafes peuvent développer des stéréotypies, comme le fait de beaucoup jouer avec leur langue si elles ne peuvent pas exprimer leur comportement de recherche alimentaire. De la même manière, des animaux qui sont trop agressifs entre eux, qui ont une dominance trop marquée, ou encore un comportement de stress, peuvent exprimer ces comportements du fait de malnutrition.
Un autre comportement qui peut s’observer en cas de mauvaise alimentation est le comportement de pica.

Le saviez-vous ?
Le pica se caractérise par la consommation répétée et volontaire de substances non nutritives (ex. sable, papier, plastique).
En parcs zoologiques, cela peut s’illustrer par le fait de manger dans l’environnement des morceaux de ficelle, des morceaux de plastique ou beaucoup de cailloux. À titre d’exemple, lors de la dernière European Zoo Nutrition Conference, de l’Association européenne des zoos et aquariums (EAZA), le cas d’un zèbre qui mangeait trop de sable et qui en est mort a été présenté[3]. Après enquête, le lien a été fait avec une carence en cuivre : ce zèbre cherchait à récupérer du cuivre via le sable, et en consommait en trop grande quantité. Pour éviter ce comportement chez les autres zèbres, la recette des granulés a été changée et des pierres à sel ont été ajoutées.
Certains animaux peuvent aussi « cacher » une malnutrition et ne pas avoir de signaux visibles. On peut être amené à intervenir sur des espèces où plusieurs individus sont morts en ayant présenté aucun symptôme et aucune anomalie.
Alimentation d'un animal gériatrique
Les animaux vivent plus longtemps en captivité qu’en milieu naturel. Cela a-t-il un impact sur leur alimentation ?

Pour la gestion de l’animal gériatrique, certains problèmes s’installent, notamment chez les carnivores, qui sont moins actifs qu’en milieu naturel. L’obésité et divers problèmes de santé peuvent survenir en raison du manque d’activité et de la perte musculaire liés à la captivité. Avec l’âge, cette perte musculaire peut entraîner des complications, comme l’arthrose, nécessitant une prise en charge spécifique. On réalise alors un suivi au cas par cas sur le plan nutritionnel pour chaque individu.
Rôle auprès des parcs zoologiques
En parallèle de votre thèse, vous avez également une entreprise d’expertise et de conseils en nutrition animale. Quel est votre rôle auprès des parcs zoologiques et des aquariums ?

Nous accompagnons les structures animalières dans la formulation des rations, le suivi alimentaire des animaux, la mise en place de l’approvisionnement, la logistique des produits alimentaires et l’hygiène en cuisine. Nous formons aussi des étudiants en école d’ingénieur, en médecine vétérinaire et en formation de soigneur animalier ainsi que des professionnels déjà en poste souhaitant approfondir leurs connaissances.
Actuellement, il n’existe pas d’autres nutritionnistes zoologiques en France en dehors de Nutrioo. De nombreux responsables de parcs travaillent néanmoins sur la nutrition animale, et il est essentiel de les former, notamment sur les espèces exotiques, pour optimiser la prise en charge des animaux
Nous essayons d’appliquer le concept de « One Health » et celui de « One Welfare », en accord avec les recommandations de l’Association mondiale des zoos et aquariums (WAZA). L’objectif est d’adopter une approche globale du bien-être, en prenant en compte le bien-être animal, humain et environnemental.
Nombre de nutritionnistes zoologiques
En France, vous êtes les seuls à exercer ce métier, qu’en est-il en Europe ou dans le monde ?

En Europe, on compte environ 4 000 parcs animaliers pour seulement 11 nutritionnistes. En Amérique du Nord, la nutrition zoologique est bien plus développée, avec des équipes de nutritionnistes intégrées directement aux parcs. Une étude[4] a notamment montré que la présence d’une équipe de nutritionnistes dans un parc zoologique permet de diviser par deux les frais vétérinaires. Cela nécessite toutefois plusieurs années de mise en place, avec un suivi des rations et une approche préventive dès l’arrivée des animaux.
Notre objectif auprès des parcs n’est pas de leur faire économiser de l’argent sur la nutrition – d’autant plus qu’ils essayent généralement déjà d’utiliser des produits peu coûteux –, mais plutôt de leur faire réduire leur budget vétérinaire en améliorant la santé des animaux.
Enjeux principaux en nutrition pour les parcs zoologiques
Quelles sont actuellement les principales problématiques en matière de nutrition rencontrées par les parcs zoologiques ?

Un enjeu important concerne les espèces folivores (qui mangent des feuilles) comme les girafes ou les okapis et la gestion de l’apport en feuilles. L’enjeu est de définir leur ration quotidienne optimale et de se fournir en feuilles pour les nourrir en hiver. A titre d’exemple, l’apport de feuilles pour un groupe de girafes est considérable. Le nombre de kilos que doit transporter un soigneur chaque jour est très élevé. En ajoutant le poids des branches, cela reviendrait à devoir porter 1,5 tonne de feuilles par jour pour un groupe de cinq girafes. Une ration de ce type est difficile à distribuer par un seul soigneur. C’est d’ailleurs en lien avec une problématique majeure du nourrissage d’animaux en captivité : comment limiter les conflits au sein des groupes tout en nourrissant les animaux à volonté et en réduisant le gaspillage ?

Le saviez-vous ?
Une girafe peut consommer 30 kg de feuilles par jour !
Un autre enjeu rencontré concerne les rations sans fruits pour les primates. En effet, il a été clairement prouvé que le retrait des fruits est bénéfique pour ces derniers. Nos fruits cultivés ne ressemblent en rien aux fruits sauvages, ce qui entraînait des rations trop sucrées et pauvres en fibres pour les animaux, causant ainsi de l’obésité, du diabète, des cancers, des abcès dentaires, des diarrhées et des problèmes de comportement. Retirer les fruits a donc été un réel plus pour leur santé et leur bien-être. Les fruits sont remplacés par des légumes feuillus, comme le céleri branche, le fenouil, le poireau, l’endive, la carotte, l’aubergine, la tomate, etc. Il est toutefois important de noter qu’une carotte est trois fois plus sucrée qu’un fruit sauvage, cela reste du sucre, mais on avance de manière progressive.

[1] Freeman, L. M., Chandler, M. L., Hamper, B. A., & Weeth, L. P. (2013). Current knowledge about the risks and benefits of raw meat–based diets for dogs and cats. Journal of the American Veterinary Medical Association, 243(11), 1549-1558. https://doi.org/10.2460/javma.243.11.1549
[2] Mellor, D. J., Beausoleil, N. J., Littlewood, K. E., McLean, A. N., McGreevy, P. D., Jones, B., & Wilkins, C. (2020). The 2020 Five Domains Model: Including Human–Animal Interactions in Assessments of Animal Welfare. Animals, 10(10), 1870. https://doi.org/10.3390/ani10101870
[3] Présentation orale à l’ENG conférence en janvier 2025, à Apenheul : « A case of sand eating behavior in Grevy Zebras Equus grevyi at Kolmården Wildlife Park » par William Walldén.
[4] “So You (Don’t) Think You Need a Nutritionist?” Proceedings of the 11th Conference on Zoo and Wildlife Nutrition, Portland, OR. 2015. Maslanka, M., B. Henry, and A. Ward.
à retenir
- La nutrition constitue le premier domaine des cinq domaines du bie-être animal.
- Pour nourrir les grands félins en captivité, un mélange des recommandations nutritionnelles du chat domestique et du comportement alimentaire en milieu naturel est fait.
- L'obésité est l'un des principaux signes d'une mauvaise nutrition, mais d'autres symptômes ou comportements, comme la stéréotypie, peuvent aussi apparaître.

Chaque animal doit recevoir une ration de qualité, correspondant à son régime alimentaire, et qui tient compte de ses problèmes de santé et de son statut physiologique.

FLORE VIALLARD
CHIFFRE CLÉ
11
Nombre de nutritionnistes zoologiques en Europe.