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En France, les animaux d’élevage sont nourris avec du soja issu de la déforestation, VRAI ou FAUX?

VRAI...

mais pas que, et il existe des alternatives !

à retenir

Depuis plus de 60 ans, la France et les pays européens sont dépendants de l’Amérique du Sud pour fournir la ration quotidienne de soja à leurs volailles, porcs et vaches laitières… Le tourteau de soja est un aliment riche en protéines essentiel pour ces derniers. Dans l’Union européenne, 90% du soja consommé par les animaux d’élevage est importé, soit plus de 30 millions de tonnes. Pour la France, cela représente environ 3,2 millions de tonnes de tourteaux de soja importés en 2020. 

Le saviez-vous ?

Les tourteaux de soja sont une sorte d'agglomérat de graines de soja pressées dont l'huile a été extraite préalablement.

Au niveau mondial, les trois principaux producteurs de soja sont les Etats-Unis, l’Argentine et le Brésil. Le Brésil reste de loin le plus gros fournisseur de la France, représentant plus de 60% des importations françaises en tourteaux de soja, suivi par l’Argentine (10%)[1]. Cette forte dépendance de la France aux importations de soja est problématique sur le plan de la souveraineté alimentaire (volatilité des prix, dépendance aux accords économiques et donc… politiques) mais également sur le plan environnemental

En effet, en Amérique du Sud, la culture de soja se traduit généralement par une monoculture à base de variétés OGM pratiquée sur des immenses surfaces résultant principalement de la déforestation.

Le saviez-vous ?

La production de soja est la principale cause de déforestation en Amérique du Sud. D'après le rapport de l'Institut national de recherche spatiale (INPE) publié en novembre 2021, la déforestation au Brésil s'est accélérée de plus de 20% sur un an, une progression inégalée depuis plus de 15 ans. Chaque année, ce sont donc 10 000km2 de forêt qui disparaissent au Brésil, soit l'équivalent de la superficie du Liban. Sur les 3,2 millions de tonnes de tourteaux de soja importés en France en 2020, la part de soja sans garantie "zéro-déforestation" était de 62%[2]

Ces monocultures sont de plus associées à des épandages massifs et croissants de pesticides qui sont pour la plupart interdits dans l’Union européenne en raison de leur nocivité. Cela participe à la destruction d’écosystèmes riches en faune sauvage et biodiversité, à la perturbation du cadre de vie des populations autochtones et… au changement climatique. Qui plus est, le transport du soja depuis l’Amérique du Sud jusqu’en France, bien qu’effectué par cargo, est générateur de gaz à effet de serre.

L’épandage de pesticides est souvent réalisé par avion au Brésil, entraînant des problématiques d’ordre écologique et sanitaire. Pour plus d’info

Comment se répartit ce soja dans l’auge des animaux d’élevage ?

En France, il faut savoir que 90% du soja importé est consommé à parts quasi égales par les bovins et les volailles. Les volailles de chair et de ponte sont les premières consommatrices des tourteaux de soja (44% du total) suivies par les bovins laitiers et mixtes (36%), les bovins à viande (8%) et les porcs (6%)[3]. En effet, l’alimentation du porc est majoritairement composée de céréales et de tourteaux de colza et de tournesol[4] que l’on produit en France et permise par l’addition d’acides aminés de synthèse[5].

💡 Note

L’alimentation des animaux d’élevage dépend de plusieurs facteurs : de leur situation géographique, du système d’élevage dans lequel ils se trouvent, des saisons (alimentation hivernale et estivale différentes), des conditions climatiques, des territoires, etc. Les chiffres présentés ci-après sont donc des moyennes annuelles.

La part de soja dans l’alimentation d’une vache laitière

La ration moyenne d’une vache laitière en France se compose ainsi[6] 

Selon les modes d’élevage, les tourteaux de soja représentent entre 4% (pour les élevages en agriculture biologique) et 36% de la part des concentrés et minéraux.

La part de soja dans l’alimentation d’une volaille

L’alimentation d’une volaille est composée en moyenne de la manière suivante[7] :

Les alternatives au soja issu de la déforestation et perspectives d’amélioration

Le soja apparaît comme une matière première incontournable de l’alimentation animale en raison de la richesse en protéines, son profil exceptionnel en acides aminés, l’économie en intrants pour le cultiver… C’est pourquoi il est difficilement substituable en intégralité dans l’alimentation des animaux. S’il est possible d’importer du soja présentant des garanties « zéro déforestation » à travers les filières de « production durable », cela ne répond pas à l’ensemble des problématiques environnementales causées par sa culture en Amérique du Sud.

Le soja « responsable » made in France ?

Produire notre propre soja en France pour nourrir nos animaux d’élevage présenterait de nombreux avantages : un soja garanti « zéro déforestation », non-OGM (pour rappel, la culture d’OGM à des fins commerciales est interdite en France), généralement cultivé avec moins de pesticides (la règlementation européenne étant plus stricte que celle appliquée en Amérique du Sud). 

Relocaliser la production de soja est aussi intéressant en matière de réduction des gaz à effet de serre liés au transport (qui peut s’avérer infime si le soja est produit sur place dans le cadre d’une exploitation autosuffisante) mais aussi via la culture elle-même : le soja utilise l’azote de l’air et produit des composés azotés lors de sa culture. En augmentant la quantité d’azote dans le sol, il fertilise naturellement les sols et réduit les maladies[8]. Au global, selon le Centre d’Étude et de Recherche sur l’Économie et l’Organisation des Productions Animales (CEREOPA), un approvisionnement français en soja représenterait un gain en carbone annuel de 1,4 million de tonnes d’équivalent CO2[9].

Le saviez-vous ?

Certains labels proscrivent le soja importé : c'est le cas par exemple du label « Agriculture Biologique » dont le cahier des charges impose que l'alimentation des animaux soit majoritairement d'origine locale et ne comporte aucun OGM.

De plus en plus de soja produit en France

En 2018, la France a produit plus de 400 000 tonnes de graines de soja[10], ce qui représentait 154 000 hectares cultivés en 2018 et 184 000 hectares en 2020[11], contre seulement 37 500 hectares en 2012. Son objectif est d’atteindre 650 000 tonnes d’ici à 2025. 

Même si la France accroît sa production de soja depuis une dizaine d’années, sa part demeure faible en Europe (la France produit 10% de la production européenne), marginale par rapport aux productions nord et sud-américaines… et comme vu précédemment, insuffisante par rapport à ses propres besoins.

… Et si on changeait de modèle ?

Face à cette problématique, André Le Gall de l’Institut de l’Élevage et André Pflimlin de l’Académie Française d’Agriculture étudient la perspective pour l’élevage français d’accéder à une autonomie en tourteaux de soja, en remplaçant une partie du maïs fourrage par des prairies riches en légumineuses pour l’élevage bovin d’une part, et en développant fortement la production de soja en France et en Europe pour les volailles d’autre part[12].  

Pour les bovins, le postulat d’André Le Gall et d’André Pflimlin est celui du maintien de la production laitière par vache (7000 kg par vache laitière) et des effectifs (3,7 millions de vaches laitière). Il s’agirait de remplacer entièrement les tourteaux de soja consommés par les bovins en améliorant la qualité des fourrages via l’intégration de légumineuses (trèfles, luzerne) : « La réduction de 50 % de la part de maïs ensilage par rapport à la situation actuelle (de 3,2 t MS à 1,6 t MS/vache laitière/an) pour tous les bovins se traduirait par une baisse de la consommation de soja de 1 630 000 tonnes. Cela correspond à la totalité de la consommation de soja par les bovins et représente une réduction de 47 % de la consommation de soja importé en France »[13].

Pour les volailles, il s’agirait de développer des cultures riches en protéines. Concrètement, pour André Le Gall et André Pflimlin, cela consisterait à maintenir les surfaces actuelles dédiées au colza et au tournesol, à multiplier par deux les surfaces en protéagineux et à multiplier par quatre les surfaces cultivées en soja. « Cette progression des surfaces à l’horizon 2030 (+ 869  000 ha) permettrait d’accroître la production de protéines de 765 000 tonnes, ce qui représente l’équivalent de 1,65 millions de tonnes en équivalent tourteaux de soja, soit 48 % des importations actuelles […] Si tout ce tourteau de soja (y compris celui provenant des surfaces actuelles) était réservé aux volailles, cela suffirait pour couvrir la consommation actuelle de soja par les volailles ».

Le saviez-vous ?

En 2020, la France a lancé un nouveau plan de soutien à la culture de protéines végétales (cultures d’oléagineux et de légumineuses) visant à développer un million d'hectares supplémentaires pour ces cultures d'ici 2030.

Selon André Le Gall et André Pflimlin, la France dispose des surfaces et du climat pour mettre en œuvre ces alternatives qui permettraient de réduire fortement la quantité de gaz à effet de serre par hectare de fourrage pour les vaches laitières, tout en réduisant les impacts environnementaux en France et en Amérique du Sud liés à la culture du soja. 

Pour Laurent Alves de Oliveira, Maître de conférences en nutrition-alimentation à VetAgro Sup, augmenter la surface cultivée en France de soja doit toutefois s’accompagner de la mise en place d’une filière française permettant de traiter les graines de soja une fois qu’elles sont produites, afin de fabriquer les tourteaux. Sans cela, le gain d’une relocalisation de la culture de soja en France serait vain.

Article écrit en partenariat avec André Le GallResponsable du Département Techniques d’Elevage et Environnement à l’Institut de l’Elevage (Idele) et Laurent Alves de OliveiraMaître de conférences en alimentation animale, à VetAgro Sup.

[1] La France Agricole, Marie-Astrid Batut et Eric Young, Comment se passer du soja brésilien, mars 2022

[2] Duralim, L’observatoire du risque de déforestation importée : premiers résultats, juillet 2021

[3] Cécile Cordier, Manon Sailley, Jean-Yves Courtonne, Boris Duflot, François Cadudal, et al.. Quantifier les matières premières utilisées par l’alimentation animale en France et segmenter les flux jusqu’aux filières consommatrices. 3R 2020 – 25e édition Congrès international francophone sur les Rencontres Recherches Ruminants, Dec 2020, Paris, France. pp.1-5

[4] IFIP, Utilisation de soja dans l’alimentation animale en France : la filière porcine peu dépendante !, septembre 2021

[5] IFIP, Utilisation de soja dans l’alimentation animale en France : la filière porcine peu dépendante !, septembre 2021

[6] Observatoire de l’alimentation des vaches laitières Françaises, Que trouve-t-on au menu des vaches laitières Françaises ?

[7] Isabelle Bouvarel, Michel Lessire, Agnès Narcy, Elisabeth Duval, Sandrine Grasteau, Alain Quinsac, Corinne Peyronnet, Gilles Tran, Valérie Heuze. Des sources de protéines locales pour l’alimentation des volailles : quelles voies de progrès ? OCL 2014, 21(4) D405

[8] FOP Fédération Française des Producteurs d’Oléagineux et de ProtéagineuxSoja

[9] Réussir, François d’Alteroche, Réduire l’empreinte carbone du soja importé, décembre 2020

[10] Chiffres 2018 Terres Univia, l’interprofession des huiles et protéines végétales

[11] Chiffres 2020 Agreste

[12] André Le Gall, Institut de l’Elevage et André Pflimlin Académie d’Agriculture de France avec la collaboration de Christophe Perrot et Benoît Rouillé, Idele; Manon Sailley, IFIP et Xavier Poux, IDDRI-ASCA, L’élevage français et européen pourrait se passer du soja américain, étude à paraître

[13] André Le Gall, Institut de l’Elevage et André Pflimlin Académie d’Agriculture de France avec la collaboration de Christophe Perrot et Benoît Rouillé, Idele; Manon Sailley, IFIP et Xavier Poux, IDDRI-ASCA, L’élevage français et européen pourrait se passer du soja américain, étude à paraître

à retenir

CHIFFRE CLÉ

60%

des importations françaises en tourteaux de soja proviennent du Brésil et 10% de l’Argentine