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Interview – L’élevage d’alpagas, avec Catherine Bochaton

élevage d'alpagas

L’élevage d’alpagas se développe progressivement auprès d’éleveurs et de particuliers en France, aussi bien pour la qualité de la laine qu’en tant qu’animal de compagnie. Quelles sont les spécificités de cet élevage encore peu connu et comment garantir le bien-être de ces animaux ?

Pour en savoir plus, nous avons interviewé lors du Sommet de l’élevage 2025, Catherine Bochaton, éleveuse d’alpagas depuis plus de 30 ans en Haute-Savoie et présidente de l’association ARSEN, qui œuvre pour la promotion de l’élevage d’alpagas et de sa filière laine en France.

C. Bochaton
Catherine Bochaton

éleveuse d’alpagas

Présidente de l’association ARSEN
(Alpagas Régions Sud, Est et Nord)

à retenir

Présentation

Pouvez-vous vous présenter et présenter votre association ?

C. Bochaton

Je suis agricultrice et éleveuse d’alpagas depuis 32 ans en Haute-Savoie. Je suis également présidente de l’association ARSEN (Alpagas Régions Sud Est Nord), créée en 2018. Elle regroupe des éleveurs professionnels et des propriétaires d’alpagas dans toute l’Europe : en France, mais aussi en Italie et en Belgique.

L’objectif de l’association est de promouvoir l’élevage d’alpagas à travers différentes actions, que ce soit auprès de nos adhérents, du grand public ou d’organismes publics et privés. Nous organisons notamment des formations où nous faisons intervenir des spécialistes, notamment sur la laine ou les soins vétérinaires, pour les éleveurs ou les particuliers qui acquièrent leurs premiers alpagas, afin de les accompagner dans leurs débuts. Nous organisons aussi des concours.

Caractéristiques de l'alpaga

Quelles sont les caractéristiques de l'alpaga ?

C. Bochaton

L’alpaga (Vicugna pacos) est un animal domestique de la famille des camélidés, originaire d’Amérique du Sud, principalement du Pérou. La femelle est appelée hembra, le mâle macho et le petit cria. Une femelle donne naissance à un seul cria après 11 à 11 mois et demi de gestation. Le petit reste ensuite six mois sous la mère avant d’être sevré. Un alpaga adulte pèse en moyenne 70 kg.

Quelques éleveurs ont importé des animaux pour améliorer la génétique de leur troupeau, principalement depuis l’Australie ou la Nouvelle-Zélande, car l’importation depuis le Pérou est interdite en France.

L'élevage d'alpagas en France

Pouvez-vous nous en dire plus sur l’élevage d’alpagas en France ?

C. Bochaton

On estime qu’il y a entre 5 000 et 10 000 camélidés (chameaux, lamas, alpagas…) en France. Il n’y a plus de base de données française regroupant tous les camélidés présents en France ce qui complique la traçabilité du cheptel et rend donc difficile d’estimer le nombre d’éleveurs d’alpagas en France. L’identification individuelle reste toutefois obligatoire, que ce soit par puce électronique ou par boucle auriculaire, et un registre européen existe, le LAREU (Llama & Alpaca Registries Europe).

Concernant la production, l’alpaga est avant tout élevé pour sa laine. Chaque tonte permet de récolter entre 1,5 et 4 kg de laine. Tous les alpagas ne produisent pas une bonne laine de qualité !

En règle générale, nous trions en 3 qualités, la qualité I étant la meilleure qualité :     

  • Qualité I : la laine provenant du dos et des flancs, à condition qu’elle présente une longueur suffisante (entre 6 cm et 13 cm).
  • Qualité II : la laine du cou (si elle atteint au moins 6 cm), ainsi que celle des jambes et des avant-bras.
  • Qualité III : la laine du toupet, du poitrail, du ventre, des pattes à partir du jarret et du genou, ainsi que de la queue.


La laine d’alpaga se décline en 16 coloris naturels et près de 90 nuances. Elle est utilisée ensuite pour faire du feutre, du tissage ou du tricot, comme des vêtements. Celle-ci est triée selon sa finesse et sa couleur, puis lavée, cardée, peignée et filée.

La laine d'alpagas

Enfin, l’alpaga est aussi apprécié pour la médiation et la compagnie notamment par les particuliers.

Besoins des alpagas

Quels sont les besoins des alpagas qui doivent être respectés afin d’assurer leur bien-être ?

C. Bochaton

L’alpaga étant une espèce sociale et grégaire : il faut avoir au minimum trois alpagas, du même sexe, dans un même parc. Il faut prévoir 3 000 à 4 000 m² pour trois alpagas, avec la possibilité de diviser cet espace en deux pour effectuer des rotations. L’espace doit être clôturé (sans barbelés) et d’une hauteur d’au moins 1m20 pour éviter la prédation. Ils ont besoin de pâtures et d’espace, notamment pour permettre le bon développement des jeunes.

Alpagas en groupe

Les alpagas sont des animaux grégaires et doivent vivre en groupe ©Catherine Bochaton

L’alpaga est un animal rustique, mais il doit avoir accès à un abri en toute saison : en hiver pour se protéger de la pluie, et en été pour se protéger de la chaleur et des insectes. Cet abri doit être bien ventilé, éclairé naturellement, avec un sol non glissant recouvert de paille pour leur confort. L’alpaga peut vivre dehors toute l’année. En cas de mise-bas en hiver, il est cependant nécessaire de protéger les petits du froid.

Dans mon élevage, les alpagas sont en stabulation libre et peuvent choisir d’être à l’extérieur ou à l’abri, selon les températures et la météo. En parallèle, l’entretien régulier des abris et des parcs est aussi indispensable pour limiter les risques de parasitisme.

L’un des points les plus importants pour l’éleveur est de satisfaire les besoins alimentaires de son troupeau. Pour cela, la qualité des prairies au sein du parc est primordiale, l’éleveur doit identifier les plantes présentes et estimer leur valeur fourragère selon quatre critères : productivité, appétence, valeur alimentaire et saisonnalité.

Le pâturage représente environ 70% de l’alimentation des alpagas, Le fourrage doit être donné à volonté toute l’année. Pour les femelles gestantes, les petits et les mâles, un complément de vitamines et minéraux doit être apporté. Chaque éleveur doit adapter son alimentation à sa région et suivant l’état de ses animaux.

L’alpaga est un animal qui aime garder ses distances, c’est quelque chose qu’il est important de respecter en tant qu’éleveur pour leur bien-être. Chaque animal est unique, certains sont plus peureux que d’autres, il est nécessaire de respecter leur individualité.

Signes de bien-être

Quels sont les signes qui permettent de reconnaître un alpaga en situation de bien-être et en bonne santé ?

C. Bochaton

L’alpaga communique à travers la position de ses oreilles, de sa tête, de sa queue, sa posture et différentes vocalisations. Ses oreilles sont mobiles : lorsqu’elles sont dressées vers l’avant, cela indique généralement qu’il est attentif ou curieux. Une tête tenue haute avec le cou étiré est un signe de confiance ou de dominance. Lorsque la queue est relevée et droite, cela montre également une posture de confiance.

Pour communiquer entre eux, notamment entre une mère et son petit, les alpagas émettent un son appelé le « hum », qui ressemble à un bourdonnement léger.

Alpaga et son petit

Les alpagas émettent un son appelé « hum » pour communiquer ensemble ©Catherine Bochaton

Signes de mal-être

À l’inverse, quels comportements doivent alerter un éleveur sur un mal-être ou problème de santé ?

C. Bochaton

Les alpagas sont des animaux grégaires qui vivent toujours en troupeau. Lorsqu’un animal s’isole, se réfugie dans un coin ou s’éloigne du groupe, il peut s’agir d’un signe de mal-être. Un alpaga couché ou abattu doit également être surveillé de près, notamment en vérifiant sa température et son état de santé.

Dans le langage corporel de l’alpaga, des oreilles couchées en arrières peuvent traduire une forme d’agitation ou de peur. Une tête tenue basse peut indiquer de la soumission, de la prudence ou un affaiblissement. Parmi les vocalisations de l’alpaga, le cri d’alerte, qui est un cri aigu, permet à un alpaga qui perçoit un danger ou qui se sent menacé d’alerter le reste du troupeau. Les alpagas peuvent aussi gémir lorsqu’ils sont stressés.

Un jeune mâle trop proche de l’humain ou élevé au biberon peut, à l’âge adulte, considérer l’éleveur comme un congénère. Élevé ainsi, il n’a pas appris la hiérarchie du troupeau et développe des comportements agressif face aux humains. Ce phénomène est appelé le « syndrome du mâle furieux » (ou « syndrome de Berserk »). Ce n’est pas une question de « mauvais » alpaga, mais plutôt le résultat d’une mauvaise relation humain/alpaga lié à l’imprégnation.

Enfin, les alpagas peuvent adopter certains comportements si leur alimentation n’est pas adaptée. Ils peuvent par exemple manger l’écorce des arbres s’ils sont carencés ou lécher des objets dans leur parc s’ils manquent de minéraux.

La tonte

Comment gérez-vous la tonte et les manipulations afin de limiter le stress pour les animaux ?

La tonte est le plus souvent réalisée par un tondeur professionnel, même s’il est important que les éleveurs sachent la pratiquer eux-mêmes, notamment en cas de blessures, de coup de chaleur ou pour une césarienne. Elle a lieu une fois par an, en général au mois d’avril, mais la période peut varier selon la région. Dans le Sud de la France, il est souvent nécessaire de tondre plus tôt. Certains tondeurs sont spécialement formés à la tonte des alpagas, tandis que d’autres sont accompagnés par les éleveurs pendant la manipulation.

Une tonte dure environ vingt minutes et se fait sur l’ensemble du corps de l’animal, ce qui permet également de vérifier l’absence de plaies ou de blessures. Pour ma part, je laisse toujours un peu de toupet sur la tête afin de protéger les yeux des mouches, ainsi qu’un pompon au bout de la queue pour éviter les coups de soleil. J’ai fabriqué une table de tonte sur laquelle l’alpaga est allongé sur le flanc avec les pattes maintenues en extension. Cette méthode permet de le stabiliser et d’éviter qu’il se blesse ou blesse la personne qui le tond. Je la préfère à la tonte debout, pour laquelle certains immobilisent les animaux en leur tordant les oreilles, cette méthode est la pire des contentions !

La tonte alpagas

Même si la tonte reste un moment stressant pour les alpagas, elle est essentielle à leur bien-être. Ces animaux produisent beaucoup de laine, et sans tonte, ils risqueraient de mourir d’un coup de chaleur. Même lorsque la laine n’est plus valorisée, il est important de continuer à les tondre tout au long de leur vie.

Pour les soins, je travaille avec un vétérinaire rural. Certaines interventions sont nécessaires chez les alpagas, notamment la coupe des crocs de combat, pour éviter qu’ils ne se blessent entre eux. Les mâles ont tendance à se battre, et ces crocs peuvent provoquer des blessures importantes. La coupe se fait à l’aide d’un fil qui sectionne proprement ces crocs, et ne doivent pas être coupées avec des tenailles, ce qui pourrait casser la dent et causer une infection. C’est un geste qui s’apprend auprès d’un vétérinaire.

Lors de mes déplacements, j’utilise une bétaillère adaptée au transport des alpagas. Les animaux voyagent sur un lit de paille, et des sacs de foin à disposition pour pouvoir manger pendant le trajet. Je veille aussi à faire des pauses régulières pour leur confort, leur bien-être et leur proposer à boire.

Conseils pour de futurs éleveurs

Quels conseils donneriez-vous à une personne qui souhaite se lancer dans l’élevage d’alpagas tout en respectant au mieux leur bien-être ?

C. Bochaton

L’achat d’un alpaga doit être un acte mûrement réfléchi. Assurer son bien-être est l’un des paramètres fondamentaux à prendre en compte. On ne s’improvise pas éleveur : il est important de bien s’informer et de se former auprès d’éleveurs professionnels avant de se lancer ! L’association ARSEN accompagne justement toute personne souhaitant débuter dans l’élevage d’alpagas.

L’association ARSEN : alpagaarsen.fr

Élevage du Léman (Catherine Bochaton) : alpagaleman.com

à retenir

guillements-vert-debut

On ne s’improvise pas éleveur : il est important de bien s’informer et de se former auprès d’éleveurs professionnels avant de se lancer !

guillements-vert-fin

CATHERINE BOCHATON

CHIFFRE CLÉ

70%

Part du pâturage dans l’alimentation de l’alpaga