Autrefois animal de labeur et compagnon de guerre, le cheval partage aujourd’hui avec l’humain des activités nombreuses et variées. Cette évolution de la relation au cheval conduit à la question de la remise en cause de son statut juridique d’animal d’élevage[1] : deux propositions de loi visant à lui accorder le statut d’animal de compagnie ont d’ailleurs été déposées en ce sens en 2010 et 2018, infructueuses pour le moment.
Nous avons rencontré Guillaume Blanc, directeur de l’accompagnement de la filière équine auprès de l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE). Il nous explique dans cette interview les implications du statut juridique du cheval en matière d’environnement et de bien-être animal.
L’IFCE, né de la fusion des Haras Nationaux et du Cadre Noir de Saumur en 2010, est reconnu comme l’institut technique de référence au service des acteurs de la filière équine. L’un de ses objectifs est notamment de produire des connaissances et de les valoriser afin de répondre aux défis agricoles, environnementaux, économiques ou encore sociétaux de demain.
directeur de l’accompagnement de la filière équine auprès de l’IFCE
à retenir
- La filière équine française regroupe de nombreuses activités allant des activités de sport et loisir à la production de viande et de lait
- Du point de vue de la loi, tous les chevaux sont des animaux d'élevage
- Ce statut facilite l'acquisition de prairie pour faire pâturer les chevaux ou produire du fourrage
- Changer le statut juridique du cheval en animal de compagnie ne semble pas être la clé pour garantir son bien-être
Présentation
Pouvez-vous nous présenter la filière équine française ?
Elle englobe toutes les activités qui impliquent les chevaux et les ânes. On distingue plusieurs grandes familles qui correspondent aux activités auxquelles on destine les équidés, ce pour quoi ils sont élevés. Les principales sont les activités de sport et loisir et les courses hippiques. Plus minoritaires : les activités de médiation animale, de traction animale ou encore, la production de viande ou de lait.
L’élevage d’équidés pour ces utilisations variées contribue à la conservation de la diversité des races : sans la diversité de ces activités, de très nombreuses races auraient déjà disparu. Malgré tout, à ce jour, sur les 25 races équines françaises, 16 sont menacées ; les 7 races asines françaises le sont également[2] !
Missions
Vous êtes directeur de l’accompagnement de la filière équine auprès de l’Institut français du cheval et de l’équitation. Quel est votre rôle ?
Si les activités liées au cheval sont très variées, elles ne sont pas cloisonnées : par exemple, un cheval élevé pour les courses hippiques peut, si cette activité se révèle ne pas lui être adaptée, être réorienté vers les sports équestres par exemple. De plus, de étapes de la vie du cheval sont communes à toutes les pratiques : l’élevage, le sevrage, le débourrage[3], la fin de vie. D’autres thématiques sont également transversales à toutes les activités impliquant les chevaux, à l’instar du développement durable ou du bien-être animal.
Ma mission principale consiste à être en contact avec les nombreuses associations de races et fédérations pour les accompagner sur ces sujets transversaux et communs à toutes les races.
Statut juridique du cheval
Le sujet du statut juridique du cheval aussi est un point transversal ?
Tout à fait ! Aussi différents soient-ils, tous les chevaux sont, du point de vue de la loi, le même animal : un animal d’élevage. C’est ce qui confère le statut agricole à la filière équine.
Ce statut s’explique par le fait que l’élevage de chevaux utilise l’espace agricole, contribue au développement territorial et à l’entretien des paysages[4].
On estime aujourd’hui que le nombre de chevaux qui participent à des travaux en agriculture, débardage ou transport sont au nombre de 8400 en France. Le cheval produit une véritable énergie verte et permet également de remettre du vivant dans certaines activités en ville comme le ramassage scolaire ou la collecte des ordures par exemple[5].
Mais c’est surtout dans la gestion des prairies que les équidés jouent un rôle déterminant.
En effet, la surface toujours en herbe est évaluée en France à plus de 8 millions d’hectares, dont 800 000 hectares (10%) seraient pâturés par les équidés. Or, les prairies constituent le deuxième plus grand puits de carbone après la forêt (60-70t de carbone/ha). Ainsi, en utilisant ces surfaces de prairies, qui ne sont alors pas cultivées, les équidés participent de manière indirecte au stockage de carbone dans le sol.
A cela s’ajoute 350 000 ha valorisés via la production du fourrage acheté. Au total, on estime ainsi que plus de 1 million d’hectares de prairies sont valorisés par les équidés[6].
Parce qu’ils consomment de très grosses quantités de fourrages grossiers, ils sont également très efficaces pour entretenir les zones fragiles, les zones non mécanisables (marais, montagnes), limitant ainsi les risques d’incendies et d’avalanches.
Enfin, le pâturage spécifique des équins produit des prairies hétérogènes ce qui créé une mosaïque de zones d’herbes rases et hautes.
Cela favorise la coexistence de nombreuses espèces animales et végétales au sein du couvert végétal, constituant ainsi de vraies niches écologiques. Il convient cependant d’établir une conduite de pâturage raisonnée pour préserver les prairies et éviter l’embroussaillement qui peut survenir au niveau des zones de refus (zones d’herbes hautes où les chevaux concentrent leurs crottins). Une autre solution intéressante est le recours au pâturage mixte équins/bovins, qui cumule les bénéfices des deux espèces. Cette pratique fait l’objet de plusieurs recherches ces dernières années et les résultats sont très encourageants.
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Impact d'un changement de statut sur la filière équine
Au cours des dernières années, plusieurs projets de lois visant à modifier le statut juridique du cheval d'animal de rente à animal de compagnie ont été déposés sans succès. Quelles conséquences cela aurait-il sur la filière équine ?
La remise en question du statut du cheval, et donc l’accès du cheval au statut d’animal de compagnie aurait des conséquences importantes aussi bien pour la filière que pour le cheval lui-même. En effet, il convient dans ce cas de se poser la question du maintien du caractère agricole des activités équestres. Sans ce statut agricole, un grand nombre d’acquis pourraient être remis en cause.
Cela peut, de prime abord, sembler assez éloigné du bien-être du cheval mais se poserait alors la question de l’accès au foncier. En effet, dans le but de préserver le patrimoine agricole, la législation donne la priorité aux agriculteurs pour acquérir un terrain agricole. On peut donc imaginer que le changement de statut juridique du cheval pourrait compliquer de manière considérable l’acquisition de prairies pour faire pâturer les chevaux et pour produire les fourrages destinés à leur alimentation, deux aspects indispensables au bien-être du cheval.
Par ailleurs, d’un point de vue économique, cela signifierait la fin des aides de la Politique Agricole Commune (PAC) et la fin de l’application de taux de TVA réduits à de nombreuses activités équines[7]. Avec la perte de ces avantages fiscaux, les structures équestres pourraient peiner à dégager des revenus et donc potentiellement à apporter les soins nécessaires aux chevaux.
Le saviez-vous ?
Tous les produits d’origine agricole, animaux et végétaux, bénéficient d’un taux de TVA réduit à 5,5%. A titre d’exemple, pour la vente d’une poulinière (jument destinée à la reproduction) au prix de 5000€, l’éleveur reverse actuellement 275€ de TVA à l’Etat contre 1000€ si le taux plein de TVA (20%) était appliqué.
Pour finir, le statut juridique du cheval permet aujourd’hui de le conduire à l’abattoir[8], bien que la consommation de viande chevaline régresse et que le recul des abattages se poursuive[9]. Cette option choque parfois le grand public, pourtant, elle permet la conservation de certaines races de chevaux lourds, et dans certains cas, constitue une alternative à l’abandon d’équidés dont les propriétaires n’auraient plus les moyens de continuer à assumer la charge.
Sans prétendre qu’il s’agit d’une solution enviable, on ne peut nier qu’elle est parfois nécessaire. Il faut savoir qu’un cheval change plusieurs fois de propriétaire au cours de sa vie : cela signifie que la personne qui l’achète en premier lieu est rarement celle qui en assume la charge toute sa vie et qui prend en charge les frais d’équarrissage[10] liés à sa mort. Il y a d’ailleurs une réelle dissonance cognitive à ce sujet au sein de la filière : beaucoup s’offusquent de voir des chevaux conduits à l’abattoir et dans le même temps, cherchent à céder leur cheval dès lors qu’il atteint l’âge de la retraite, où des soins plus importants peuvent devenir nécessaires. La nécessité de responsabiliser les futurs propriétaires sur ces aspects financiers est capitale.
Le saviez-vous ?
Depuis le 31 décembre 2022[11], tout détenteur particulier d’équidé, que l’acquisition ait eu lieu avant ou après cette date, doit être titulaire d’un certificat d’engagement et de connaissance. Ce document précise notamment les besoins de l’espèce, les obligations du détenteur mais également les implications financières et logistiques liées à la détention d'un équidé.
L’Association des vétérinaires équins français (AVEF) propose un modèle de certificat dans lequel il est précisé que « entretenir un équidé représente un coût inévitable : selon un consensus large, le coût d'entretien moyen d'un équidé est d 8 à 13 euros par jour minimum (soit 240 à 390€ par mois). L'espérance de vie d'un équidé dépasse 25 ans chez les chevaux, 35 ans chez les poneys et les ânes ».
Impact sur la population de chevaux
La modification du statut juridique du cheval aurait donc un impact important sur la population de chevaux ?
Le saviez-vous ?
La loi n’opère pas de distinction en fonction des espèces en matière de maltraitance animale.
L’article 521-1 du Code pénal précise ainsi qu’« Il est interdit d'infliger des mauvais traitements à un animal domestique ou à un animal sauvage apprivoisé ou tenu en captivité ».
Ainsi, les sanctions prévues pour ces infractions sont les mêmes, que l’animal qui en est victime soit un chien, une vache ou un cheval.
Conseils pour améliorer le bien-être
Avez-vous des conseils pour améliorer le bien-être des chevaux et nos interactions avec eux ?
Si changer le statut juridique du cheval ne semble pas la clé pour garantir son bien-être, il est évident qu’il nous faut continuer de faire évoluer nos pratiques ! Cependant, juger ce qui se faisait il y a 50 ans avec les connaissances d’aujourd’hui est contreproductif : nous n’avons plus les mêmes références à ce jour, la relation avec le cheval notamment a considérablement évoluée.
Les évolutions sont souvent jugées lentes car elles doivent s’appuyer sur des données fiables issues de la recherche scientifique. La réaction émotionnelle n’est pas toujours juste, il faut être vigilant à ne pas mettre sous le couvert du bien-être animal des choses qui sont en fait dans notre propre intérêt. Je pense notamment aux propriétaires qui, lorsque les températures diminuent, mettraient des couvertures à certains chevaux qui n’en ont pas besoin. Ils pensent bien faire et pourtant, sans le vouloir, ils n’agissent pas dans l’intérêt du cheval !
Le cheval sauvage, une utopie ?
Il n’est pas rare que l’idée de relâcher les chevaux et de leur rendre leur liberté, à l’image des mustangs ou des chevaux de Przewalski soit proposée. Cette idée soulève au moins deux questions :
- ces chevaux sont-ils vraiment sauvages ?
- la vie des chevaux en liberté est-elle celle que nous imaginons ?
Pour le savoir, nous vous invitons à consulter ces deux webconférences animées par Hélène Roche pour l’IFCE : Idées reçues sur les chevaux sauvages et Les chevaux sauvages existent-ils encore vraiment ?
En résumé, je dirais qu’il est nécessaire de conserver cet équilibre entre les différentes activités avec le cheval tout en améliorant continuellement les pratiques. C’est notamment le travail entrepris avec la Charte pour le bien-être Equin et le guide de bonnes pratiques[14] qui y est associé. L’IFCE a également pour mission de soutenir la recherche pour favoriser l’acquisition perpétuelle de nouvelles connaissances sur le cheval et donc nous améliorer.
Je crois que la clé est de voir les activités avec le cheval comme un partenariat et non comme un acte de consommation. Quelle que soit l’activité, il s’agit d’une relation sur le long terme qui est mise en place. Et chaque cheval, donc chaque relation est différente : à nous de nous adapter !
[1] Chaire BEA – Idée reçue : Tous les animaux peuvent ils être des animaux de compagnie
[2] IFCE – Races équines et asines domestiques : un impact sur la biodiversité
[3] Le débourrage désigne l’ensemble des apprentissages qui visent à amener le cheval à accepter le harnachement, le poids du cavalier sur son dos et/ou le poids d’un véhicule d’attelage. Au cours de cette étape, on enseigne au cheval les codes de base nécessaires pour interagir avec l’humain.
[4] IFCE – Equi Ressources, La traction animale en milieux agricole et forestier : enquête sur l’emploi et les formations.
[5] IFCE, INRAe, European Horse Network – Les atouts verts des équidés en France.
[6] IFCE – Webconférence : Foncier & Filière équine : état des lieux et prospective
[7] IFCE – Equipédia : TVA équine : fondamentaux et préconisations
[8] IFCE – Exclusion consommation & abattage
« Le règlement européen (UE) 2016/429 prévoit les modalités de gestion du statut d’un équidé vis à vis de la consommation humaine pour sécuriser l’industrie alimentaire. On distingue ainsi, 2 grandes catégories d’exclusion :
- exclusion administrative, par l’organisme émetteur suite à un retard d’identification ou une rupture de traçabilité.
- exclusion vétérinaire suite à l’administration d’un traitement médicamenteux rendant l’équidé impropre à la consommation humaine qui peut être définitive ou temporaire selon la substance utilisée.
Depuis le 7 juillet 2021, le règlement (UE) 2021/963 pris en application du règlement (UE) 2016/429 ne permet plus l’exclusion de la consommation d’un équidé par choix de son détenteur ou son propriétaire. La gestion du statut d’un équidé vis-à-vis de la consommation humaine est uniquement liée aux enjeux de traçabilité sanitaire. »
[9] IFCE – Chiffres clés 2023 – BILAN STATISTIQUE DE LA FILIÈRE ÉQUINE FRANÇAISE – DONNÉES 2022
[10] IFCE – Nouveaux tarifs pour le service d’équarrissage mutualisé ATM Equidés-ANGEE
[11] Décret n° 2022-1012 du 18 juillet 2022 relatif à la protection des animaux de compagnie et des équidés contre la maltraitance animale
[12] 66 000 emplois en activité principale en 2018.
[13] IFCE – Equipédia : Les usagers « hors structure » : chiffres clés
[14] Guide de bonnes pratiques pour l’application des engagements de la Charte pour le bien-être équin
à retenir
- La filière équine française regroupe de nombreuses activités allant des activités de sport et loisir à la production de viande et de lait
- Du point de vue de la loi, tous les chevaux sont des animaux d'élevage
- Ce statut facilite l'acquisition de prairie pour faire pâturer les chevaux ou produire du fourrage
- Changer le statut juridique du cheval en animal de compagnie ne semble pas être la clé pour garantir son bien-être
Je crois que la clé est de voir les activités avec le cheval comme un partenariat et non comme un acte de consommation.
GUILLAUME BLANC