Le mardi 16 novembre 2021, la Fondation Droit Animal Ethique et Sciences (LFDA) a organisé un colloque dédié à l’animal sauvage afin d’aborder la question de sa préservation et de sa protection en tant qu’individu sensible.
Pour un aperçu de l’ensemble du programme, vous pouvez suivre ce lien.
La Chaire bien-être animal était présente pour assister au colloque. Nous avons ainsi eu l’opportunité d’interviewer Louis Schweitzer, président de la LFDA, et Sophie Hild, directrice de la LFDA. Une bonne occasion d’en apprendre davantage sur le travail de la LFDA, ses engagements envers les animaux, et ses ambitions pour assurer la protection de la sensibilité des animaux sauvages en état de liberté.
Interview de Louis Schweitzer, président de la LFDA
Au cours de cette interview, nous avons abordé le parcours de Louis Schweitzer, son rôle en tant que président du comité d’éthique vétérinaire, les activités de la LFDA dont son projet d’étiquetage bien-être animal et, enfin, les enjeux autour de la prise en compte de la sensibilité de l’animal sauvage libre, thème du colloque du 16 novembre.
Interview de Sophie Hild, directrice de la LFDA
« L’objectif de la LFDA est d‘assurer la mise en commun de connaissances pluridisciplinaires dans le but d’améliorer les relations entre les humains et les autres animaux, d’améliorer la protection de ces derniers, de leur témoigner le respect que nous leur devons en tant qu’êtres vivants. »
Sophie Hild
Pouvez-vous nous présenter la LFDA, les sujets dont elle traite et les partenaires avec lesquels elle travaille ?
La Fondation Droit Animal Ethique et Sciences se définit comme un groupe de réflexion pluridisciplinaire. C’est d’ailleurs une de ses forces. L’objectif de la LFDA est d‘assurer la mise en commun de connaissances pluridisciplinaires dans le but d’améliorer les relations entre les humains et les autres animaux, d’améliorer la protection de ces derniers, de leur témoigner le respect que nous leur devons en tant qu’êtres vivants. Pour cela, on travaille à la fois avec les institutions, l’État, les organismes de recherche, les professionnels de l’élevage, etc., et nous essayons aussi de sensibiliser le public à tous ces sujets.
Quel est votre parcours et votre rôle au sein de la LFDA ?
Au niveau de mon parcours, j’ai fait des études en éthologie et j’ai réalisé ma thèse en Norvège à l’école vétérinaire norvégienne. Je suis actuellement directrice de la LFDA et je suis donc en charge du bon fonctionnement de la fondation de façon générale, aussi bien d’un point de vue de la gestion, de l’administration, de la communication et aussi concernant les dossiers de fond. Nous sommes actuellement 4 salariés au sein de la LFDA, dont une étudiante en alternance. A nous quatre, nous tâchons de faire tourner la fondation sachant que nous nous occupons de tous les types d’animaux, les animaux d’élevage, d’expérimentation, les animaux sauvages, etc. Cela représente donc beaucoup de travail. On développe ainsi à la fois des argumentaires juridiques, scientifiques, et éthiques, là encore toujours sous un angle pluridisciplinaire. Par ailleurs, au niveau de la communication, nous nous efforçons de partager le fruit de nos réflexions, nos recommandations à travers notre site internet, une revue trimestrielle et l’organisation de colloques, comme celui qui a eu lieu récemment sur les animaux sauvages.
« Une de nos premières forces a été de légitimer le combat en faveur des animaux en lui offrant une forme de reconnaissance institutionnelle. »
Sophie Hild
Quelles sont les principales avancées permises par la LFDA ?
De façon générale, notre particularité vient d’une sorte de garantie de sérieux, de rigueur dans les arguments que nous avançons. Lorsque l’on travaille pour l’amélioration de la protection animale, on risque souvent de ne pas être pris au sérieux, en étant taxé de militant ou d’extrémiste. Une de nos premières forces a été de légitimer le combat en faveur des animaux en lui offrant une forme de reconnaissance institutionnelle. De façon générale, nous apportons ainsi une caution de rigueur.
De façon plus précise, nous avons beaucoup travaillé à faire modifier le droit qui était en retard par rapport à la science au niveau des connaissances que l’on avait des animaux, de leur sensibilité, de leur capacité à souffrir par la faute de l’Homme. Ainsi, nous avons été créés en 1977 et en 1978 nous avons proclamé la Déclaration Universelle des Droits de l’Animal qui était une déclaration qui voulait remettre l’être humain au sein du règne animal. C’était une déclaration qui a eu beaucoup de retentissement à l’époque, avec l’organisation d’une cérémonie internationale, avec beaucoup de pays présents. En 2018, pour les 40 ans, nous avons d’ailleurs décidé de remettre la déclaration à jour pour qu’elle soit directement applicable dans le droit en faisant preuve d’un tout petit peu plus de réalisme et de pragmatisme. Cette nouvelle version se compose désormais de 8 articles.
Nous avons par ailleurs travaillé à modifier le Code pénal, en particulier, en 2004 en incluant les sévices sexuels au sein des délits punis. Aujourd’hui, avec la proposition de loi de lutte contre la maltraitance animale, nous voyons d’ailleurs que nous commençons enfin à avancer un peu plus sur ce sujet, avec la pénalisation du partage et du visionnage de vidéos zoopornographiques par exemple.
Nous avons encore beaucoup travaillé à faire évoluer le Code civil. C’est un combat qui nous animait il y a déjà plus de 20 ans. En 2005, nous avons pu remettre au garde des Sceaux par notre secrétaire générale de l’époque, qui était magistrate, un rapport juridique sur les animaux qui préconisait ce qui a été obtenu 10 ans plus tard, en 2015, à savoir l’inclusion de la notion de sensibilité des animaux dans le Code civil. C’était vraiment une grande avancée pour nous au niveau juridique. Maintenant nous demandons aussi que les actes de cruauté soit punis pour les animaux sauvages en liberté, ce qui n’est actuellement pas le cas, alors que les humains sont capables des pires atrocités à leur encontre.
Nous avons aussi obtenu au début des années 1980 l’étiquetage des œufs de poules pondeuses. Auparavant, nous ne pouvions pas savoir si les œufs étaient pondus par des poules en cage, des poules en plein air, etc. A la fin des années 1970, nous avons entamé une action avec l’OABA en nous associant par ailleurs à des consommateurs pour que le mouvement prenne de l’ampleur. Nous avons ainsi réussi à obtenir l’étiquetage du mode d’élevage des poules pondeuses sur les œufs. Cela a été traduit dans un règlement européen.
Aujourd’hui, force est de constater que le droit peine malheureusement à davantage évoluer. Nous avons ainsi décidé de passer par le droit souple qui est le droit des contrats et des conventions. Nous avons créé l’étiquette bien-être animal, qui n’est pas l’objet de réglementation pour l’instant mais qui est le fruit d’accords, d’actions volontaires pour, là encore, permettre au consommateur d’influencer les conditions d’élevage des animaux dans leurs actes d’achat.
« Nous proposons d’inclure dans le Code pénal, qui punit la maltraitance mais seulement à l’égard des animaux sous la garde de l’Homme, les animaux sauvages en liberté à la liste des animaux protégés contre la cruauté humaine. »
Sophie Hild
Suite au colloque du 16 novembre 2021, qu’espérez-vous pour les animaux sauvages en liberté ?
Nous espérons vraiment que le droit prenne mieux en compte les animaux sauvages en liberté en tant qu’individus. Nous souhaitons que le droit puisse mieux les considérer et les protéger contre la maltraitance et la cruauté humaine. Aujourd’hui, les animaux sauvages en liberté ne sont en effet considérés que sous l’angle de leur appartenance à une espèce ou à travers l’effet négatif qu’ils peuvent avoir sur l’humain et les activités humaines, comme on le voit avec la catégorie des ESOD (espèces susceptibles d’occasionner des dégâts), anciennement appelés « nuisibles ». On ne les considère finalement pas, pour l’instant, dans le droit en tout cas, comme des êtres pouvant être victimes d’abus de la part de l’humain à titre individuel. C’est pour cela que nous proposons d’inclure dans le Code pénal, qui punit la maltraitance mais seulement à l’égard des animaux sous la garde de l’Homme, les animaux sauvages en liberté à la liste des animaux protégés contre la cruauté humaine.
« Au niveau de leur capacité à souffrir, les deux, le renard et le chien, ont exactement la même sensibilité. »
Sophie Hild
La maltraitance de l’animal sauvage libre : une réelle problématique ?
Il suffit de regarder certaines vidéos disponibles en ligne où l’on voit des gens qui font souffrir des animaux sauvages. J’ai en tête cette vidéo d’un renard blessé avec une arme à feu par des chasseurs avec l’un d’entre eux qui saute à pieds joints dessus. Je ne sais pas si l’objectif était de l’achever, une balle aurait été plus humaine… Aujourd’hui, si quelqu’un en France agit de la sorte à l’encontre d’un renard, il ne risque rien. Vous faites la même chose à un chien qui appartient à quelqu’un, vous risquez d’être poursuivi, de payer une amende, voire d’aller en prison. Or, au niveau de leur capacité à souffrir, les deux, le renard et le chien, ont exactement la même sensibilité.
« Dans un monde parfait, nous laisserions juste les animaux sauvages évoluer et vivre leur vie. Aujourd’hui nous empiétons vraiment sur leurs espaces de vie. Il faut se demander ce que nous pouvons faire pour ne pas détruire leur monde mais, en même temps, sans devenir l’architecte de tout ce qui s’y passe. »
Sophie Hild
Quelle est votre définition du bien-être animal ? Peut-on se dire qu’un animal sauvage ne peut être en état de bien-être qu’en évoluant libre dans un espace naturel non détérioré par l’Homme ?
J’aime beaucoup la définition de l’ANSES de 2018. Je pense ne pas pouvoir ajouter grand-chose à cette définition très complète qui prend en compte à la fois les besoins physiologiques, comportementaux, les attentes de chaque animal. C’est vraiment une définition qui met l’animal au centre. On y voit bien la différence entre bien-être et bientraitance.
Concernant la deuxième question, c’est un point très intéressant. Nous partons plutôt du principe que nous n’avons pas à nous mêler du bien-être de l’animal sauvage libre. S’il est en libre évolution, il ne sera pas forcément en état de bien-être : peut-être qu’il aura faim, froid, peut-être qu’il sera pourchassé par un prédateur, mais quelque part cela ne nous regarde pas. C’est sa vie. Là où nous sommes concernés, c’est lorsque nous sommes responsables d’un impact sur son bien-être, c’est-à-dire si nous polluons son environnement, si nous détériorons son habitat. Là, nous commençons à avoir une certaine responsabilité… Mais dans ce cas, on ne parle pas vraiment de bien-être. Il s’agit plutôt de lui garantir des conditions de vie qui lui permettent d’exprimer sa nature. Il y a d’ailleurs un courant de pensée auquel nous n’adhérons pas qui est le Rwas (« Reducing Wild-Animal Suffering »), qui prône une véritable intrusion dans le monde animal libre. Au nom de la réduction de la souffrance pour les animaux, les tenants de cette vision vont dire qu’il faut intervenir dans la prédation et empêcher les prédateurs de se nourrir de proies. Ils n’ont pas tous un discours aussi extrême mais, pour nous, cela apparaît fortement dangereux : un écosystème est quelque chose d’excessivement complexe avec des interactions, des mécanismes qu’il est nécessaire de maîtriser sinon on peut avoir des effets boomerang désastreux. De façon générale, l’intervention de l’être humain dans le monde sauvage libre est quelque chose de très dangereux. Cela doit être fait de façon très réfléchie, méticuleuse, selon une démarche scientifique éprouvée. Dans un monde parfait, nous laisserions juste les animaux sauvages évoluer et vivre leur vie. Aujourd’hui nous empiétons vraiment sur leurs espaces de vie. Il faut se demander ce que nous pouvons faire pour ne pas détruire leur monde mais, en même temps, sans devenir l’architecte de tout ce qui s’y passe.
Replay des conférences
Si vous souhaitez voir (ou revoir!) les interventions, n’hésitez pas à aller visionner le replay des conférences :