
Dans les Alpes et les Pyrénées, les sports d’hiver font partie intégrante du paysage. Chaque hiver, les stations de ski françaises accueillent 10 millions de touristes, dont 7 millions pratiquent des sports de glisse. Les domaines skiables français s’étendent sur une surface de 160 000 hectares[1][2].
Autour de ces activités, certaines recommandations émergent afin de limiter leurs impacts sur la faune sauvage. En effet, les animaux sauvages perçoivent les humains comme des prédateurs, au même titre qu’un loup ou un lynx. Sa seule présence suffit à déclencher chez eux de nombreuses réponses comportementales pour faire face à ce danger perçu.
à retenir
- Le dérangement humain désigne toute situation dans laquelle une activité humaine va amener un animal à adopter un comportement différent de celui qu'il aurait en l'absence d'activité humaine.
- Les impacts du dérangement varient selon les espèces, les tétraonidés y sont particulièrement sensibles.
- Pour le limiter, il est essentiel de respecter les zones de tranquillité des domaines skiables et de rester sur les sentiers balisés.
Les sports pratiqués en montagne sont donc souvent sources de dérangement pour les animaux. C’est notamment le cas du ski de randonnée, du ski sur piste et hors-piste, qui comptent parmi les principales causes de perturbation de la faune en montagne en hiver.
Dans cet article, nous revenons sur l’impact du dérangement causé par les humains à l’égard des animaux ainsi que sur les mesures mises en place pour le limiter.
Définition du dérangement
Définition du dérangement humain
Le dérangement humain est défini comme « Toute situation dans laquelle une activité humaine va amener un animal à adopter un comportement différent de celui qu’il aurait en l’absence de l’activité humaine. »[3]
Le dérangement humain se caractérise par sa nature et son impact. En montagne l’hiver, il dépend du mode de locomotion utilisé (à pied, à ski, en engins motorisés comme la motoneige), de son intensité (taille des groupes, fréquence de passages), du moment de la journée, de sa prévisibilité (chemins balisés et réguliers ou premières traces) ainsi que de la présence d’infrastructures liées à ces activités (chemins de randonnée, pistes de ski, remontées mécaniques, chemins utilisés par les dameuses…).
Certains types de perturbations peuvent avoir un impact significatif sur la faune, notamment :
- Un itinéraire inhabituel ou imprévu (ex. passage hors sentiers balisés),
- Un effet de surprise (ex. lorsqu’un animal est confronté à une arrivée rapide ou inattendue dans un espace isolé),
- Une approche par le haut (skieurs, snowboardeurs, parapentistes),
- Des activités ou groupes bruyants,
- La présence de chiens, notamment lorsqu’ils ne sont pas tenus en laisse, accompagnant les randonneurs.
L’impact du dérangement humain est particulièrement important en hiver, une période où les ressources alimentaires sont plus rares pour les animaux et les conditions météorologiques difficiles. Durant cette saison, les animaux dépensent davantage d’énergie, aussi bien pour se déplacer dans la neige que pour maintenir une température corporelle constante. Toute dépense énergétique supplémentaire peut donc représenter un danger pour leur survie.
Impacts
Quels impacts pour quelles espèces ?
Les ongulés

Les ongulés comme le bouquetin, le chamois, l’isard, le mouflon ou le cerf se réfugient l’hiver dans des habitats moins enneigés (comme les pentes orientées sud), afin de réduire le coût de leurs déplacements et avoir un meilleur accès aux ressources alimentaires. Il y a donc moins de risques de confrontation avec les skieurs qui au contraire, délaissent ce genre de zones.
S’ils sont surpris par des humains de manière inattendue, ils vont prendre la fuite. La fuite dans la neige va être très coûteuse en énergie et épuiser leurs réserves de graisse.
Une étude sur une sous-espèce du chamois a montré qu’une augmentation de 50 % des touristes transportés par téléphérique a réduit la taille des troupeaux et les a éloignés de cette infrastructure. De manière générale, des dérangements trop répétés peuvent conduire les chamois à abandonner des zones favorables pour se réfugier sur des zones où la nourriture est plus rare[4][5].
L’impact du dérangement dépend aussi de la période biologique dans laquelle se trouvent les animaux. Chez certaines espèces de montagne, l’hiver est une période clé pour la reproduction. Par exemple, le bouquetin et le chamois sont en période de rut respectivement en décembre-janvier et novembre-décembre. Les femelles chamois et bouquetins passent donc tout l’hiver en gestation, ce qui augmente leurs besoins énergétiques.
Les tétraonidés

La famille des tétraonidés regroupe des espèces comme le Tétras lyre, le Grand tétras, la Gélinotte des bois et le Lagopède alpin.

Le saviez-vous ?
On compte environ 4 500 Grands tétras en France, dont 4 000 qui seraient localisés dans les Pyrénées[6].
Le Tétras lyre passe l’hiver caché, à l’abri, dans une sorte d’igloo qu’il construit dans la neige. Lorsqu’un humain s’approche de son refuge, il est contraint de fuir, ce qui lui fait dépenser de l’énergie pour s’éloigner, réguler sa température à l’extérieur et trouver ou construire un nouvel abri[7]. De plus, en quittant son igloo, il reste plus longtemps exposé à ses prédateurs, comme le renard ou l’aigle royal, ce qui augmente son risque de prédation.
En cas de dérangements répétés, le Tétras lyre doit donc passer davantage de temps à rechercher de la nourriture pour compenser l’énergie perdue lors des fuites et pour maintenir sa température corporelle en extérieur[8].
Le stress induit par ces perturbations peut aussi entraîner une libération de corticostérone, une hormone liée au stress. Une étude a démontré que les activités de sports d’hiver augmentaient les niveaux de corticostérone chez les Grands tétras vivant à proximité des zones fréquentées. Des niveaux élevés prolongés ou répétés de cette hormone peuvent avoir des conséquences négatives sur la croissance, l’état corporel, la fonction immunitaire, la reproduction et la survie de l’individu[9].
Autres espèces

D’autres espèces sont aussi impactées par le dérangement, comme le lièvre variable. Bien que son pelage blanc lui assure un bon camouflage en hiver, s’il est contraint de se fuir suite à un dérangement humain, il devient bien plus vulnérable face aux prédateurs que s’il était resté caché.
Pour les loups et les lynx, une étude a montré qu’en cas de dérangement humain répétés, les loups avaient tendance à devenir plus actifs la nuit, tandis que les lynx restaient principalement actifs au crépuscule et durant la nuit, et cela, quelle que soit la saison[10].
Les zones de tranquillité
Pour limiter le dérangement humain, des « zones de tranquillité » se développent en Europe et en France. Elles visent à préserver des espaces où les aménagements et les activités susceptibles de perturber la faune locale sont limités ou exclus. Ces espaces sont balisés et indiqués sur les plans des domaines skiables concernés. Ce balisage est aussi parfois mis en place en dehors des stations, notamment sur les secteurs de ski de randonnée. En plus de leur rôle dans la conservation de la biodiversité, ils contribuent à sensibiliser les touristes aux enjeux environnementaux et aux bonnes pratiques à adopter lors des activités hivernales.

Mises en place par les parcs naturels nationaux en concertation avec les différents acteurs des domaines skiables, ces zones de tranquillité reposent avant tout sur la bonne volonté des usagers plutôt que sur des mesures contraignantes. En France, la plupart de ces zones refuges ne font l’objet d’aucune réglementation stricte, et leur accès n’est donc pas formellement interdit.

Le saviez-vous ?
Cinq nouvelles zones ont été mises en place cet hiver sur le domaine de La Plagne, des Menuires et aux Arcs[11].
Recommandations
Recommandations pour limiter le dérangement
- Respecter les zones de tranquillité et les sites de protection de la faune : les animaux sauvages s’y retirent.
- Rester sur les sentiers, suivre les itinéraires recommandés et être discret : les animaux sauvages peuvent s’accommoder de la présence d’humains si celle-ci est prévisible.
- Eviter les lisières et les surfaces non enneigées : ce sont des zones de refuge pour les animaux en hiver.
- Tenir son chien en laisse : sa seule présence est une source de stress pour les animaux sauvages.
- Suivre le principe de l’entonnoir : grouper les traces à l’approche de la forêt et essayer de concentrer les traces en une seule lors de la traversée d’un milieu boisé.


Le saviez-vous ?
La nourriture humaine n’est pas adaptée aux besoins alimentaires des animaux sauvages et peut modifier leur comportement. Il est donc important de ne pas les nourrir ni laisser de restes de nourriture dans la nature.
Quelques questions à Mathieu Garel

Chargé de recherche, membre de la direction de la recherche et de l’appui scientifique (DRAS)
dans le service Anthropisation et fonctionnement des écosystèmes terrestres (AFET)
au sein de l’Office Français de la Biodiversité (OFB).
Quels sont les indicateurs généralement mesurés pour évaluer le stress chez les ongulés, et quelles méthodes sont utilisées pour les récolter ?
Tout dépend de ce que l’on entend derrière le mot stress ! S’il s’agit plutôt du sens premier, à savoir une réponse de nature physiologique, on peut mesurer la présence d’hormones comme le cortisol. On peut le mesurer dans le sang, les poils, les plumes (pour les Tétras), les fèces…ce qui peut nécessiter ou non la capture de l’animal (et être plus ou moins invasif).
Il y a aussi des études qui ont mesuré la fréquence cardiaque de l’animal comme indicateur d’une situation stressante provoquée par la présence d’un humain. Il serait probablement aussi possible d’étudier des aspects immunitaires, comme cela se fait chez l’Homme.
Enfin, les réponses comportementales de l’animal à la présence des humains (qui ne provoquent pas forcément la réponse physiologique du stress) sont nombreuses : fuite (fréquence, distance de fuite), augmentation du temps passé en vigilance, modification du rythme d’activité (par exemple, l’activité diurne reportée la nuit quand les humains ne fréquentent plus ou peu les espaces naturels), modification des habitats utilisés (tant que les humains les utilisent), éloignement des structures anthropiques (sentiers, pistes, routes), etc.
Quels sont les effets de dérangements répétés et prolongés sur le comportement des ongulés ?
Si le dérangement est répété mais prévisible (par exemple, le passage de randonneurs sur un chemin), les animaux peuvent mettre en place des réponses proactives : ils s’éloignent des chemins au premier randonneur aperçu ou entendu et s’en rapprochent à nouveau qu’en fin de journée. Ce genre de routine d’évitement permet de s’économiser une fuite après une rencontre imprévue avec un randonneur et permet ainsi d’économiser de l’énergie.
Il y a aussi pour les animaux la possibilité de développer une forme d’habituation (plus forte tolérance à la présence humaine). On a notamment montré cela chez le chamois qui reste plus près des sentiers en été sur les zones les plus dérangés et s’en éloigne moins en journée. Nous n’avons pas encore complètement compris les processus qui se cachaient derrière tout cela, mais il faut garder en tête que cela peut être à double tranchant pour les animaux. S’ils ne sont pas capables de réévaluer le niveau de risque encouru (par exemple, lorsque la chasse ouvre sur ces mêmes secteurs très fréquentés par les humains l’été), cette habituation pourrait alors s’avérer délétère pour leur survie.
Au-delà des effets directs du dérangement, existe-t-il d'autres impacts que peuvent avoir les activités humaines l'hiver sur la santé des ongulés ?
Il y a des impacts liés aux infrastructures qui accompagnent nos pratiques : la présence de chemins, de remontées mécaniques, etc., créent un paysage de la peur et représentent autant de surfaces d’habitat potentiellement « perturbées » pour l’animal, ainsi que de zones de refuge, d’alimentation, etc., perdues.
Indirectement, toutes les réponses comportementales mises en œuvre ainsi que le stress physiologique, représentent en cascade autant de « coûts » qui peuvent potentiellement impacter à terme la croissance, la capacité de reproduction voire la survie des animaux.
Pour aller plus loin
Merci à Marc Montadert pour sa relecture de l’article et Mathieu Garel pour sa relecture ainsi que pour avoir accepté de répondre à nos questions.
[1] Domaines skiables de France : Dossier de presse Hiver 2024-2025
[2] A titre de comparaison, la surface en France située au-dessus de 1 000 m d’altitude est d’environ 3,8 millions d’hectares, Larousse – France : géographie physique
[3] Frid, A., & Dill, L. (2002). Human-caused disturbance stimuli as a form of predation risk. Conservation ecology, 6(1).
[4] Hamr, J. (1988). Disturbance behaviour of chamois in an alpine tourist area of Austria. Mountain Research and Development, 65-73.
[5] Pęksa, Ł., & Ciach, M. (2015). Negative effects of mass tourism on high mountain fauna: the case of the Tatra chamois Rupicapra rupicapra tatrica. Oryx, 49(3), 500-505.
[6] Fiche espèce – INPN : https://inpn.mnhn.fr/docs-web/docs/download/441069
[7] Arlettaz, R., Patthey, P., Baltic, M., Leu, T., Schaub, M., Palme, R., & Jenni-Eiermann, S. (2007). Spreading free-riding snow sports represent a novel serious threat for wildlife. Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences, 274(1614), 1219-1224.
[8] Arlettaz R, Nusslé S, Baltic M, Vogel P, Palme R, Jenni-Eiermann S, Patthey P, Genoud M. (2015). Disturbance of wildlife by outdoor winter recreation: allostatic stress response and altered activity–energy budgets. Ecological Applications, 25(5), 1197-1212.
[9] Thiel, D., Jenni‐eiermann, S., Palme, R., & Jenni, L. (2010). Winter tourism increases stress hormone levels in the Capercaillie Tetrao urogallus. Ibis, 153(1), 122‑133.https://doi.org/10.1111/j.1474-919x.2010.01083.x
[10] Adam F. Smith, Katharina Kasper, Lorenzo Lazzeri, Michael Schulte, Svitlana Kudrenko, Elise Say-Sallaz, Marcin Churski, Dmitry Shamovich, Serhii Obrizan, Serhii Domashevsky, Kateryna Korepanova, Andriy-Taras Bashta, Rostyslav Zhuravchak, Martin Gahbauer, Bartosz Pirga, Viktar Fenchuk, Josip Kusak, Francesco Ferretti, Dries P.J. Kuijper, Krzysztof Schmidt, Marco Heurich. (2024). Reduced human disturbance increases diurnal activity in wolves, but not Eurasian lynx, Global Ecology and Conservation, Volume 53, e02985, ISSN 2351-9894, https://doi.org/10.1016/j.gecco.2024.e02985.
[11] De nouvelles zones de tranquillité pour le tétras-lyre sur les domaines skiables de Vanoise
à retenir
- Le dérangement humain désigne toute situation dans laquelle une activité humaine va amener un animal à adopter un comportement différent de celui qu'il aurait exprimé en l'absence d'activité humaine.
- Les impacts du dérangement varient selon les espèces, les tétraonidés y sont particulièrement sensibles.
- Pour le limiter, il est essentiel de respecter les zones de tranquillité des domaines skiables et de rester sur les sentiers balisés.
CHIFFRE CLÉ
Estimation du nombre de Grands tétras en France.